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Les Typobaladeuses font valser les lettres

Au départ il y avait un Impromptu parfaitement rôdé : 200 petites enveloppes imprimées prêtes à être distribuées aux participants, des Typobaladeuses chargées à fond et deux artistes, Pierre et Armand, de la compagnie Alis déterminés à déambuler au milieu des vacanciers qui profitent d’une belle journée d’août à Château-plage. Sauf que la météo s’en est mêlée. Les orages et les fortes pluies de la veille ainsi que des prévisions peu engageantes ont contraint la municipalité à fermer leur plage estivale installée sur les bords de Marne. Mais il en faut plus pour décourager le duo qui s’est finalement délocalisé au Palais des rencontres, sur les hauteurs de la ville. Pendant une heure, les artistes ont pu dérouler leur spectacle devant une audience choyée puisqu’elle a eu droit au spectacle complet, habituellement joué de manière fragmentée, au gré des publics rencontrés durant la déambulation.

Pour ce coup-ci, les adultes habituellement la cible du spectacle ont cédé leur place à un groupe d’enfants du centre aéré du quartier Blanchard.  « Bien évidemment, nous allons nous adapter », souligne de suite Pierre, auteur du spectacle et metteur en scène.  « Ils vont avoir le droit à une prestation premium ! » À 14h30, ils sont donc une dizaine de jeunes à s’installer confortablement dans les poufs moelleux de l’annexe de la médiathèque.   « Savez-vous tous lire ? », la question de Pierre obtient un très sonore « oui ! », le spectacle peut donc commencer.

Tout de noir vêtus, une tablette en main, Pierre et Armand commencent une chorégraphie savante. Sur les écrans, des bouches, des yeux, des oreilles, qui semblent se parler, se regarder et s’entendre par tablettes interposées. Des sons parviennent aux spectateurs, mais aucun son net ou compréhensible, juste une parole qui semble étirée, ralentie. Puis, aux formes humaines succèdent celles des lettres de l’alphabet. D’un blanc immaculé, elles apparaissent, disparaissent, se complètent. Et à chaque fois qu’il est possible d’y distinguer un mot, l’assemblée de jeunes lecteurs (ils ont entre 7 et 11 ans et demi), l’énonce à voix haute. « lumière », « texte », « écriture », les lettres semblent s’animer dans un ballet chorégraphique d’écrans, parfaitement exécuté par les deux artistes. À la fin du premier tableau, alors que Pierre demande aux enfants ce qu’ils en ont pensé, Aliyah confie que tout ceci lui fait penser au petit-déjeuner « C’est comme quand on mange des céréales avec du lait et que les lettres basculent dans le bol. »

Le ballet à quatre mains et deux écrans se poursuit. Les lettres se jouent des mots, transformant la « neige » en « noire ». Grave erreur selon Maël : « C’est pas vrai du tout, parce que la neige ce n’est pas noir ! », « Les tablettes sont magiques ? » glisse une petite voix alors qu’Armand et Pierre passent leur main devant elles comme pour gommer ce qui s’y trouve, faisant se dissiper les mots.  Puis ces derniers deviennent dessins : une branche, une pomme, un arc, une flèche. Un océan, un navire, la houle. Et puis finalement l’eau qu’on avale, comme pour vider l’écran d’un trop plein.

Alors qu’il est déjà presque l’heure de se séparer, le public est conquis. « J’ai trouvé ça super cool », confie Jade. « Surtout quand ils faisaient le truc avec leur main pour effacer. » Une séquence qui a aussi beaucoup plu à Maël, « j’ai adoré parce que ça fait un peu comme de la magie ! » Lise, du haut de ses 9 ans a bien aimé admirer les farandoles de mots « Quand les mots se découpent et qu’ils arrivent petit à petit, c’est très joli à voir. » Quant à Jeanne, c’est le tableau de l’eau qui l’a emportée « C’était trop drôle quand ils faisaient comme s’ils buvaient l’eau de mer. Comme elle partait de l’écran on avait vraiment l’impression qu’ils l’avaient dans la bouche. »

Du côté des artistes, la satisfaction est aussi très forte. « C’est drôle car les adultes deviennent des enfants lorsqu’on leur joue les spectacles, quand on a de vrais gamins en face de nous, c’est drôle de voir leur réaction, qui sont celles de leur âge, mais de voir aussi qu’ils arrivent, comme Maël qui ne sait pas forcément encore très bien lire, à dévoiler la suite. J’adore ! » raconte Armand, artiste multidisciplinaire. « C’est agréable d’entendre dans leur bouche les mots qui se créent. On sent que c’est joyeux. », confie à son tour Pierre. « La lecture consiste à apprendre à ne plus voir. Une fois que l’on sait lire on ne fait que décoder. Là nous avons une machin qui ralentit la lecture car on ne va lire qu’un seul mot. Et ça donne une sacrée expérience. »

Mais avant de définitivement se séparer, le binôme a une dernière surprise. Grâce à leur petite imprimante portable attachée à leur ceinture, ils proposent de faire de la poésie à demi-mot. Le principe  est simple : chacun choisi un mot, par exemple son prénom. Le programme niché dans la tablette va alors générer toute une liste d’autres mots qui vont, une fois imprimé sur un petit rectangle de papier reformer le mot initial dans son intégralité, le tout grâce à la magie de la typographie. Il y a « sage » dans Jade, comme il y a « estime » dans Jeanne ou « livre » dans Nynna.

Et puis il y a les mots clin d’œil, comme William qui a choisi « crapaud » qui est le surnom affectueux qui lui donne son père, qu’il a choisi de coupler à « pop corn », parce que « c’est trop bon ». Et enfin les mots énigmatiques comme « flèche » et « fleuris » choisis par Aliyah à qui on demande quelques explications. « Avec des amis on s’est amusé à donner des surnoms aux gens et mon amoureux c’est flèche, comme la flèche dans le cœur. Et fleuris, c’est comme les fleurs au mariage. Je trouvais que ça allait bien ensemble. » De la poésie, et pas qu’à demi.

Texte et photos : Clémence Leleu

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