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Je t’écris de la passerelle

Un projet de Sophie Matel et Véronique Lespérat-Héquet, Le Tas de Sable / Centre National de la Marionnette, Tergnier été 2023

C’est l’été, c’est par là-bas, où il n’y a pas la mer. Prendre le large dans la caravane argentée, prendre le large, le large ciel qui va vers l’est, là où les nuages explosent, où le soleil se couche dans le dos.

Il y a là des gens curieux qui sourient, qui nous regardent arriver avec nos histoires à rêver debout, ils ne savent pas encore que c’est la leur ; enfin, celle qu’on a inventé sur ici et là, la ville, les rues, les trains, la sucrerie, la cité de l’énergie, la passerelle, leur passerelle, celle qu’ils et elles veulent garder encore un peu, celle qui porte leurs histoires, encore un peu avant qu’elle soit détruite, leur passerelle, celle « qui attrape le vent qui apaise » comme le dit C. , qui apaise, c’est pour ça qu’on passe par là.

On va se raconter tout ça, c’est quoi et comment habiter là, côte à côte sur la passerelle, laisser passer la poésie du dedans, l’attraper et garder le vent.

C’est dans la ville, la caravane, quartiers d’été, marché, plan d’eau, camping, ici et là, juste au bas des immeubles, on s’installe, on déplie les pieds, on est bien calées, remue ménage dans nos 5 m2, on est prêtes, on peut y aller, on va les chercher. Les regards dehors sont bien prêts eux aussi, on chante les rues pour leur dire on vient chez toi.

Et puis un petit groupe, genoux serrés, vient écouter, regarder le fou doux qui raconte habiter, rester là, regarder dehors ou plus loin encore, avec ses bouts de sucre, ses locomotives, ses souvenirs un peu pas trop, son bric à brac de mots en vrac. Juste le train train de la vie et l’accordéon qui sourit.

Le voyage se termine, on laisse là dedans la maison au toit rouge et puis la tourterelle, les bulles de rêves en sucre, des vraies en vrai sucre et le temps suspendu.

On reste ensemble encore un peu, si l’envie nous en prend et c’est pas obligé, le temps de sculpter d’une petite pointe un wagon dans un carré de sucre et rallonger de jour en jour le grand train du décor et / ou juste en quelques minutes se raconter, c’est quoi habiter / partir / rester / quiquoicomment c’est où, en faire une poésie, l’écrire sur la carte postale de la passerelle, l’adresser à quelqu’un, qui on veut, rentrer chez soi et sur le chemin glisser la carte dans une boîte aux lettres

Les gens d’ici, de la ville des trains, de la raffinerie, des nuages qui explosent même en été, du vent qui apaise, ont partagé pour un moment leurs intérieurs douillets, côte à côte sur la passerelle, pas la vraie, pas celle qu’on va détruire, celle qu’on a inventé pour eux, celle qui restera, parce qu’elle est en sucre et « le sucre c’est soluble, mais ça disparaît pas… L’eau est sucrée »

Extrait du texte :
« Y a ceux qui sont ici là là
Ceux qui
ceux qui
j’aime bien l’idée
cette idée de la passerelle
de là où on est, à là où on va
On reste attaché à là d’où on vient
et
ça veut pas dire partir mais peut-être aller voir
et puis on peut revenir si l’envie nous en prend
La passerelle tu vois
mais aussi
quand on est bien accroché là et là
qu’on est aller voir là et là
on se pose on regarde par là
et on se dit qu’on peut passer dessous
comme ça
et puis aller plus loin
et de là haut se regarder partir et puis rentrer chez soi se faire un p’tit café »

Photos : Véronique lespérat-Héquet, Marlène Hector, Sophie Matel

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