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Une table, trois voix, mille échos

Lecture intime et politique du collectif MUES au centre de rééducation et réadaptation neurologique Sainte-Barbe à Fouquières-lès-Lens (62).

Dans le hall d’accueil du service animation, au premier étage du centre Sainte-Barbe à Fouquières-lès-Lens, une dizaine de personnes sont installées. Face à elles, autour d’une table, trois femmes : Lina, Sara et Fatima Baraka. Deux sœurs et leur mère. Elles lisent à voix haute leurs propres mots. Feuilles blanches en main, elles partagent un récit autobiographique chargé d’émotions, à la frontière du politique et de l’intime.

Une lecture à cœur ouvert

C’est Fatima qui ouvre la lecture. Elle raconte la découverte de sa grossesse, l’attente de ses filles, l’expérience viscérale de l’accouchement. Sa langue est organique, intérieure, elle remue les souvenirs enfouis. Hervé, l’un des patients présents dans l’auditoire, se laisse happer par la puissance des mots : « Moi aussi j’ai accouché, confie-t-il après le spectacle dans un lapsus amusant, … enfin, j’ai assisté aux accouchements de ma femme. J’ai eu l’impression de les revivre grâce à ce texte. C’est bouleversant comme des mots nous ramènent à des souvenirs enfouis. Cela vient de loin. »

Dans la salle, l’émotion circule, tangible. On parle de l’absence du père, de la force singulière d’une famille. On évoque le racisme, l’immigration, l’assimilation et ce que l’on abandonne en chemin. Qu’est-ce qui se transmet ? Qu’est-ce qui se perd ? Qu’est-ce qui se revendique quand on appartient à la génération suivante ?

« Nos émotions résonnent chez les autres »

Après la lecture, la discussion s’ouvre avec le public. Une femme prend la parole :
« Moi, mon fils, il a vécu la même chose, le racisme, les insultes, ça m’a fait mal au cœur d’entendre vos mots. »

Sara explique alors le choix de l’autobiographie : « Pour nous, c’est notre manière de créer. En parlant de nos émotions, on croit qu’elles résonnent chez les autres. » Lina ajoute : « Écrire avec notre mère nous a permis d’aborder des sujets dont nous n’avions jamais parlé ensemble. »

Les échanges se poursuivent, entre confidences personnelles et réflexions collectives. Chacun et chacune y reconnaît une part de sa propre histoire, parfois douloureuse, parfois apaisante. « Mon fils m’a dit une fois : maman, j’ai 10 doigts, un nez, deux yeux, et je suis un arabe mais alors ? », se remémore une nouvelle fois la dame visiblement touchée par le récit. « Et oui, nous sommes de la même espèce », s’amuse, amère, Lina.

La culture là où on ne l’attend pas

Virginie Fauvergue, animatrice et responsable du service animation, rappelle l’importance du dispositif Plaines d’été, qui permet d’inviter la culture dans des lieux non dédiés.
« Tout le monde n’ose pas parler de ces sujets. C’est important d’ouvrir cet espace », dit-elle aux autrices.

Pour les trois lectrices, jouer dans un centre de rééducation prend tout son sens :
« Au théâtre, les gens viennent recevoir quelque chose. Ici, c’est un véritable échange », remarque Fatima. « On rencontre les personnes en toute simplicité, avec leurs vulnérabilités », rejoint Sara.

Le texte qu’elles ont lu aujourd’hui constitue une annexe de la performance conçue par Sara et Lina, intitulée Okhty, masœur en arabe. Cette forme courte et lue a été spécialement conçue pour Plaines d’été.

« Ce qui nous touche le plus, conclut Sara, c’est la curiosité réciproque : savoir ce qui a marqué les gens, ce qui les a émus, offrir un espace à notre propre curiosité, et s’autoriser à proposer une forme qui sort du cadre attendu dans les institutions dédiées au spectacle vivant. »

Texte et photos : Sidonie Hadoux

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