Samedi 21 juin à Chéry-les-Pouilly (02), c’est la fête de la musique, bien sûr, mais aussi la fête du village. La chaleur est écrasante. Les champs alentours ont grillé. Le feu d’artifice est annulé. Sur la place du village, en cercle, ont été disposés une scène pour les musicien·nes, une buvette, un stand frites/merguez, des tables/bancs sous barnums et un atelier de maquillage féérique, également protégé du soleil. Le sol goudronné a des allures de plancha géante. Toutefois, la canicule n’entachera pas l’envie des habitant·es de profiter de ce moment fédérateur.





Au centre de ce cercle, une piste circulaire bleue a été installée. Celle-ci est bordée de bancs. Quelque chose se prépare. Un spectacle de cirque intitulé « Moi aussi ! », par la Compagnie Un loup pour l’Homme. Un événement financé par la DRAC Hauts-de-France dans le cadre de la programmation Plaines Villages. Éric Bochet, le maire de la commune, attendant ce moment avec gourmandise. L’élu est très heureux de pouvoir offrir cette proposition inhabituelle à ses administré·es. « Je trouve ça formidable ce que la DRAC fait en direction du monde rurale, exprime-t-il avec enthousiasme. D’ailleurs, je vais leur écrire pour le leur dire. Il faut encourager ce genre d’initiatives. Le théâtre de rue, c’est magique ! Le spectacle vivant en général. Toutes les meilleures cassettes, enfin… DVD du monde ne pourront pas faire vivre la même expérience que le spectacle vivant. Voir les gens transpirer, rater, même, des fois. C’est comme ça, ça montre que ça arrive, c’est la vie. Et après le spectacle, on a la possibilité de les interroger, d’échanger avec eux, on est dans la vraie vie. À Chéry-les-Pouilly, on n’est pas riche mais on s’efforce de faire des projets, par exemple de marionnettes ou de théâtre. Nous travaillons en lien étroit avec les enseignantes pour faire des choses de qualité. La culture ne doit pas être une variable d’ajustement ! »



Puis l’heure est à l’annonce du début du spectacle. Éric Bochet quitte la cuisson des frites et monte sur scène pour intimer les villageois à s’assoir sur les bancs. Cette opération n’a que peu d’effet mais au fil de la performance, les bancs finiront par se remplir. Des conditions de jeu difficiles pour les artistes, ayant pour mission de semer les premières graines d’une action, en jouant un spectacle auprès d’un public non initié.



Une jeune femme tire un chariot sur lequel se tient son acolyte. La complicité palpable entre ielleux fait penser au lien entre une sœur et un frère. Les cerceaux tournoient, les corps s’équilibrent juchés sur des piquets et les acrobaties s’enchaînent avec beaucoup de fraîcheur et d’espièglerie douce. Parmi le public, les ricanements adolescents du début de la performance font place à des « wouahh ! », des « ah ouais quand mêêême ! » et des « Hhô ! » admiratifs.





« C’était très bien ! exprime Zoé, 8 ans. J’ai tout aimé. C’est la première fois que je voyais des acrobates. Je n’ai jamais vu de spectacle comme celui-là mais j’aimerais en voir d’autres ! » Quant à Mireille, 64 ans, elle et son mari était les premiers adultes à prendre place sur les bancs dans l’attente du spectacle. Elle est connaisseuse et apprécie cette discipline. « J’ai beaucoup aimé les costumes et la mise en scène. C’est un peu dur pour les artistes dans un contexte comme ici. Le public met du temps à réagir. »






En effet, beaucoup ont pudiquement regardé le spectacle depuis la buvette ou encore attablé·es sous un barnum. « Au départ, je n’ai pas bien compris le principe, confie Laura, 35 ans. Après, oui. C’est un peu décalé par rapport à la vie de tous les jours. Je n’avais jamais vu ce genre de choses. J’ai bien sûr déjà vu du cirque. » Du cirque traditionnel avec des lions ? « oui. » Mais pas du cirque contemporain ? « Non. Mais c’est sympa. » Pour Clara, 12 ans, c’était également une découverte. « C’était super bien mais je n’ai pas l’habitude. C’était la première fois. » Et quand on lui demande si elle aimerait pratiquer, elle s’exclame « oh oui, j’aimerais bien en faire mais je ne suis pas assez souple ! »




Daniel Kvašňovský et Lucie Otter, les accrobates, se sont rencontrés à l’Académie Fratellini. Iels ont commencé à travailler sur ce spectacle depuis cette époque. « Moi aussi ! parle d’itinérance, exprime Daniel Kvašňovský. D’un monde, d’une maison qui bougent. Quelque chose qui arrive et qui repart. On raconte l’histoire d’un frère et d’une sœur. Mais c’est nous qui aimons nous raconter cette histoire. Ensuite chacun se fait la sienne. »
« Des personnes arrivent, ensemble, ils vivent un jeu comme les enfants et repartent dans un cercle infini, intervient Špela Vodeb, » la metteuse en scène.



« Pour moi, il s’agit de s’amuser, de se chamailler, poursuit Lucie Otter. Ce qui est chouette, c’est que ça change suivant les endroits. On passe d’un jeu à l’autre avec des règles claires pour tout le monde. Normalement on joue beaucoup avec la proximité des gens. Les enfants du premier rang sont tellement proches qu’ils peuvent nous toucher. Ici personne n’a osé s’assoir trop près. »
Texte et photos : Gaëlle Martin