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Un déménagement tout feu tout flamme


En ce samedi matin de rentrée des classes, la compagnie Musique Acoustique Machine a posé camion et cartons sur le parking du Leclerc de Chambly pour son spectacle On Déménage. La température est déjà élevée, le ballet des Caddies a commencé, les pas sont pressés, mais dans cet espace minéral l’art a réussi à percer. 

Le fauteuil est fixé sur le toit, les tapis et les cartons s’empilent à l’intérieur de la camionnette blanche qui arrive, comme ça, l’air de rien, sur le parking du centre commercial Leclerc de Chambly. À son bord Viviane et François de la compagnie Musique Acoustique Machine et Mell et Dante de celle Les empires de la lune. Le véhicule se gare. En un claquement de doigts, ses quatre occupants s’affairent et sortent boîtes et cartons. Pourquoi donc ? Mais parce qu’ils emménagent. Ici ? Absolument. Donc évidemment, ils veulent savoir : à quoi ça ressemble la vie, à Chambly ? 

Le quatuor souhaite faire connaissance avec ses nouveaux voisins. Alors on s’installe, on pose le tapis, et on commence les présentations. Sauf qu’à la place d’un gâteau encore chaud que l’on viendrait offrir en guise de brise-glace à un voisin de palier, Viviane, François, Dante et Mell offrent une heure d’un spectacle qui mêle musique et performance. Les sons de l’accordéon et du violon alto viennent remplir l’air estival et agrémenter le passage, au supermarché, des Camblysiens. Pas facile, dans les premiers temps, d’attirer l’attention du public. Listes de courses dans la main, chariots lancés à vive allure pour en finir avec cette corvée du week-end, ou articles frais déjà en train de réchauffer à vitesse grand V dans les sacs, il n’est pas toujours évident de prendre quelques minutes pour s’arrêter, observer ces quatre artistes qui proposent une petite bulle artistique au milieu d’un ballet millimétré. 

Mais au fil des minutes, avant de passer la porte tambour vitrée qui mène à l’intérieur du supermarché, quelques passants marquent l’arrêt. Devant leurs yeux Mell enchaîne les mouvements avec grâce et délié, tandis que Dante multiplie les numéros de jonglage, n’hésitant pas à sauter dans un Caddie encore vide avant qu’il ne s’engouffre dans le tambour. « Ça fait du bien d’entendre de la musique comme ça. Avec l’accordéon, ça fait un peu comme de la musique Tsigane. On n’a pas l’habitude d’écouter ça ici. », raconte Samya. « Je ne m’attendais pas à voir ça en sortant des courses », s’étonne Marie-Paule, « C’est un peu étonnant quand même. Normalement ici on vient, on fait ses courses et on repart. Je ne pensais même pas que des gens avaient le droit de faire des spectacles devant le supermarché. » poursuit celle qui a pris quelques minutes pour observer, un peu en retrait, le spectacle. 

L’heure tourne, le thermomètre grimpe, la foule enfle de plus en plus mais il reste difficile d’attraper durablement le public alors Dante joue le tout pour le tout. Le rythme de l’accordéon et du violon s’accélère et bientôt, voilà des flammes puissantes qui viennent arrêter en un instant les clients pressés. Le temps semble s’être suspendu. Enfants, parents, badauds solitaires, tous se figent sur place. S’approchent. Et regardent, captivés, l’artiste cracheur de feu. « C’est un truc de ouf ce qu’il fait. Les flammes elles sont super grandes », lance Mattéo, adossé au mur près de l’entrée et qui, jusqu’à présent échangeait des Snap avec sa petite amie, regardant la prestation d’un œil distrait. « J’ai envoyé la vidéo à ma meuf, elle a trop kiffé. » Ibrahim, Bilal et leur mère Douaa font partie de ceux qui ont décalé de quelques minutes leur entrée dans le Leclerc. Les enfants, âgés de 5 et 7 ans, ont ouvert de grands yeux ronds. « C’est bien de voir ça ici, parce que tous les jours on a pas le temps. Avec cinq enfants, on ne va pas voir de spectacle ou alors quand c’est organisé avec l’école ou quoi. Donc venir là où on fait les courses, c’est une bonne idée. »

« Le feu a marché, parce qu’en un sens, c’est violent. Les gens ne sont pas là pour nous. Ce n’est pas un système de spectacle classique. Alors avec le feu, on les choque. Jouer dans la rue, ça demande une autre énergie, plus forte, plus dure peut-être aussi. », décrypte Dante. « C’est le première fois que l’on jouait ce spectacle dans un lieu qui n’était pas vraiment organisé pour », raconte Mell. « Les gens sont en mouvement, il y a une petite bulle qui se crée devant eux et ils vont décider s’ils vont se laisser tenter ou s’ils vont aller droit au but, faire leurs courses. C’était super intéressant à vivre comme moment. Alors bien sûr il ne faut pas être susceptible parce que sinon c’est compliqué de voir des gens qui ne s’arrêtent pas. Mais je suis heureuse de l’avoir fait. C’est l’expérience pour l’expérience. »

Pour Viviane, cette expérience s’insère au sein d’un courant plus large. « L’important, c’est de créer des habitudes pour que les gens soient de plus en plus réceptifs. Qu’il y ait des temps de plaisir de plus en plus nombreux en parallèle de temps de consommation. Au départ, lorsque nous avons commencé à proposer des choses dans notre village, les habitants n’étaient pas tous intéressés. Et puis maintenant, ce sont eux qui demandent. Des habitudes, des envies, ça se crée. » Le mot de la fin reviendra à François « Moi j’aurais envie de dire surtout bravo à mes comparses, bravo les gars d’avoir joué le jeu. Ce n’était pas forcément facile ce matin, le spectacle n’a pas pu se dérouler intégralement comme prévu mais on s’est adapté. On a proposé quelque chose. C’est ça aussi la culture, l’art, c’est s’adapter à son public. Et non l’inverse. »

Texte et photos : Clémence Leleu

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