Le lundi 25 août dernier, la compagnie lilloise Sursum Corda présentait un impromptu dans un cadre hors du temps : la halle médiévale d’Azincourt, dépendance du musée de la ville.
Un lieu habité
La halle impressionne dès l’entrée. Le toit en bois s’élance haut dans l’air, donnant au lieu une respiration ample. Au fond, câbles, projecteurs et éléments de régie rappellent qu’ici, l’histoire croise régulièrement le spectacle vivant. Mais ce qui attire immédiatement le regard, c’est la grande cheminée de pierre dressée au centre, monumentale. Ce jour-là, un autre artiste y avait posé son installation, ajoutant une présence discrète.
L’attente
Un peu avant quinze heures, le trio de Sursum Corda est déjà en mouvement. Sarah Chlaouchi, Maxime Freixas et Francesco Colaleo échauffent leurs genoux, leurs épaules, mais aussi leurs voix. Du côté du public, une inquiétude flotte : la fin de l’été ne facilite pas les rassemblements dans ce petit village du Pas-de-Calais. C’est ce que redoutaient les équipes du musée. Pourtant, à l’heure dite un couple et leur fille entrent, suivi de quelques visiteurs déroutés vers la halle, des employé.e.s… Peu nombreux, mais assez pour former un cercle.



Le cercle des origines
Les artistes invitent d’ailleurs le public à se disposer en cercle, puis marchent à l’intérieur. Ils fixent les visages, scrutent les regards. Sourires, rires gênés, curiosité : on ne sait pas ce qu’ils cherchent. Puis le jeu se dévoile. Sursum Corda tente de deviner les origines des spectateurs.
À chaque « origine » pressentie, une chanson s’élève dans la langue correspondante. Le public, surpris, rit, se laisse emporter. Rapidement, la situation bascule en chorégraphie : les trois artistes transforment ces origines en personnages, en gestes, en une chronique burlesque des identités. Un poireau devient soudain objet-totem, qu’ils se passent pour incarner tour à tour une nationalité et ses clichés.




Drôle et subtil
Sous ses airs légers, la création déplie une réflexion plus fine. Elle interroge la manière dont on catégorise, dont on réduit, mais aussi comment nos « racines » peuvent devenir matière à célébration et partage. Le tout reste drôle, vif.
En conclusion, les trois artistes se rejoignent dans un tableau chorégraphié collectif, comme une réconciliation joyeuse : ce qui compte n’est pas tant l’origine que la joie d’être ensemble.
« Ce que je cherchais avec Plaines d’Été, c’était justement de tester notre liberté de jeu », explique Sarah Chlaouchi, danseuse et chorégraphe de la compagnie. « La liberté de jouer avec le public et le réel ».






Une aventure collective
Sursum Corda est née en 2017 à Lyon. Sarah Chlaouchi l’a fondée avec une amie, avant de déménager à Lille. « J’avais envie d’arrêter, mais Maxime et Francesco m’ont dit : “Nous, on croit en toi. On veut continuer à t’accompagner et collaborer sur ce projet » Ensemble, ils relancent la création intitulée Sa race, et c’est à Lille que ce projet se réinvente. Pour Plaines d’été, le trio montre une forme courte de ce que sera la création en cours.
Pour Sarah, l’expérience de Plaines d’Été a été déterminante : « C’était l’occasion de nous roder tous les trois, de jouer aussi la comédie alors que nous sommes d’abord danseurs. On s’est régalés. J’ai vu les garçons grandir dans ce cadre-là. Et surtout, ça m’a redonné du sens. »
Au fil du dispositif, la compagnie s’est produite dans des lieux variés – centres socio-éducatifs, jardins de musées – et prépare déjà deux ateliers chorégraphiques en EHPAD pour septembre. « C’est rare d’avoir des espaces où ce n’est pas grave si tout ne fonctionne pas encore », dit-elle.






Un public complice
Quelques sourires retenus, des yeux pétillants, des rires francs : malgré sa petite taille, le public a pleinement joué le jeu. Dans la halle médiévale d’Azincourt, le temps d’un après-midi d’août, une parenthèse s’est ouverte, entre pierres et racines.
« Parfois je perds le sens de ce que je fais, confie Sarah. Là, ça m’a redonné de la joie, du plaisir. Ça m’a rappelé pourquoi je fais ce métier : pour ces moments partagés avec mon équipe et avec le public. »
Texte et photos : Sidonie Hadoux