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Quand les mots se brodent aux fils

  • Nord

PLAINES D’ETEDans de beaux draps30 août – Roubaix

Pour Plaines d’été, la Compagnie Le Compost présentait Dans de beaux draps, une performance participative dont la première représentation a naturellement trouvé sa place à La Manufacture à Roubaix.

Un groupe de personnes se lance dans une visite guidée de La Manufacture, musée de la mémoire et de la création textile, à Roubaix. Pendant ce temps-là, trois membres de la compagnie Le Compost se préparent discrètement dans l’atelier du musée. Laetitia Troussel-Luber a revêtu une étrange robe de mariée. Une robe faite avec des bouts de rideaux, de nappes et des serviettes récupérés dans des friperies ou à Emmaüs. Autour de ces tissus, qui sont « la base de nos performances » précise la comédienne conteuse, s’activent la plasticienne Maëlys Rebuttini et la brodeuse Juliette Gérome. Les habilleuses agencent ce vêtement mouvant et lui rajoutent des tambourins où pourront être réalisés des points de broderie. Après cette préparation délicate, la comédienne se lance dans une déambulation dans le musée. Elle passe, seule, tel un fantôme, dans les couloirs et entre les machines de cette immense pièce. Au loin, les visiteur⸱rices jettent un œil, intrigué⸱es et curieux⸱ses, à la vue de ce ballet mystérieux.

Après cette apparition, les trois jeunes femmes rejoignent le parvis à l’entrée du musée pour quelques ajustements. Quelques personnes passent, là aussi très intriguées. Une femme et sa maman s’arrêtent. La conversation s’engage et elles sont invitées à faire un point de broderie sur les tambours. Les fils cousus sont ainsi comme des poils qui recouvrent la robe. « Cette performance permet aussi une collecte de paroles, autour du tissu, du vêtement », précise la comédienne.

Retour à l’intérieur du musée, devant une immense machine. La visite guidée est maintenant terminée et un petit groupe se rapproche de la mariée. Sans leur expliquer la démarche de cette performance, Laetitia Troussel-Luber les convie à venir broder sur sa robe. Armand, sa femme Josiane et sa fille Serena, viennent d’Antibes et sont de passage dans la métropole. Ils prennent fils et aiguilles et s’exécutent. Là encore la conversation démarre. Avec sa voix douce, presque ensorcelante, la comédienne leur pose des questions, sur leur rapport au tissu, au vêtement, à la couture. Elles les invitent ainsi à raconter des bouts de leur histoire.

Elisabeth et sa petite-fille Malou, venues de Rennes, se joignent au groupe et à la discussion. Elisabeth explique que sa mère était couturière et qu’elle-même a réalisé beaucoup de vêtements, des pantalons, des cabans, des vestes. Chacune fait part de son expérience, évoque des moments de vie. Entre deux récits, la comédienne conteuse raconte la légende d’Épiméthée, le frère de Prométhée, qui a réparti les qualités et défauts parmi les animaux, et oublia l’homme, si bien qu’il se trouva donc nu et faible. Elle parle aussi du conte allemand Toutes-Fourrures, connu aussi sous le nom Peau-de-mille-bêtes. Puis, Armand lui demande : « Vous aimez bien faire parler les gens ? ». Laetitia lui répond : « Il y a de très belles histoires dans les contes mais aussi dans la vie de chacun. ». D’ailleurs, la collecte de paroles, partie essentielle de la performance, servira à alimenter le spectacle en construction Dans de beaux draps dont la création se fera en mars 2024 à la Scène Nationale de Beauvais. « Ce sera une série de performances », précise Laetitia Troussel-Luber qui va écrire la proposition en duo avec Cécile Morelle, une autre conteuse.

Maintenant, tous⸱tes sont assis⸱es autour de Laetitia, s’activant à faire des points de broderie, à réaliser un pelage de fils. La comédienne est contente : « J’avais froid tout à l’heure mais avec tous ces poils, je commence à avoir chaud. »

Après ce moment suspendu, de broderie et de discussion, les participant⸱es rejoignent la sortie du musée. Elisabeth est conquise : « Je ne m’attendais pas à ça. On apercevait cette mariée qui déambulait dans le musée, entre les machines, et cela nous interpellait. C’était génial cette rencontre. La jeune femme est adorable. ». Malou rajoute : « C’était étonnant. C’est une rencontre qui sort de l’ordinaire. On va s’en rappeler ! ».

La famille d’Armand a également passé un très bon moment. Il philosophe : « La vie est une suite de moments, il faut savoir les saisir. Comme des fruits mûrs dans un arbre ou un livre dans une bibliothèque. Aujourd’hui, on s’assoit et on partage quelque chose. On prend le temps, on a le temps. Et c’est formidable. C’est sûr que cette rencontre est inattendue, cela va nourrir nos conversations dans les jours à venir. Cela nous a permis de faire remonter des histoires familiales, et aussi des émotions. » Josiane enchaîne : « Coudre pour moi est une seconde nature. Alors je parle facilement de cette passion. » Puis, elle dit, en souriant : « Mais dans un musée, comme ça, assise par terre, peut-être pas souvent ! »

Enfin, Serena, qui ne connait pas le Nord et va rentrer dans quelques jours dans une école de commerce de la métropole, a été touchée de cette simplicité dans le contact et dans l’échange : « C’est surprenant et c’est très sympa. D’autant que j’aime ce rapport au vêtement, j’aime m’habiller. Le vêtement, c’est une seconde peau pour moi. » Et elle, comme les autres participant⸱es de cet après-midi à La Manufacture, ont habillé de points de broderie le costume de cette étrange créature.

Texte : Olivier Pernot
Photos © Olivier Pernot

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