Le jeudi 26 septembre 2024, au lycée Dampierre à Moncornet, une ambiance singulière règne dans le gymnase. C’est jour de sport, mais cette fois-ci, les élèves, en tenue, n’ont pas rendez-vous avec un ballon ou des barres parallèles. Aujourd’hui, quelque chose de différent se prépare. Leur professeur les invite à s’asseoir en demi-cercle, curieux, intrigués. Ils échangent des regards inquiets, se posent des questions. Mais de quoi s’agit-il ?
Les portes du gymnase s’ouvrent, et les comédiens de la Cie HNA entrent en scène, prenant immédiatement possession de l’espace. En quelques secondes, la magie du théâtre opère. Les élèves, captivés par cette intrusion inattendue dans leur quotidien scolaire, se laissent emporter. Les premières répliques fusent, le jeu théâtral s’installe, et avec lui, l’atmosphère change. Ce n’est plus un gymnase : c’est un monde parallèle qui s’ouvre, où réalité et fiction se confondent. L’étonnement laisse place à la fascination.
Peu à peu, à travers les dialogues et les situations mises en scène, une critique sociale se dessine. Le thème de la pièce est clair : la toxicité de la technologie qui, tout en créant une illusion de connexion constante, isole les individus dans une solitude profonde. Le paradoxe est frappant : nous sommes toujours connectés, disponibles à tout instant, mais nous n’avons jamais été aussi seuls, enfermés dans une bulle numérique qui nous déconnecte de notre sociabilité instinctive. Le silence dans la salle est révélateur : les élèves se reconnaissent dans ce miroir tendu par les comédiens.
La pièce, intitulée « The Avenger, Toxic et Narco », nous plonge dans l’histoire haletante de trois adolescents. Au fil des scènes, les indices s’accumulent, les personnages se dévoilent. L’intrigue se déploie au rythme des saisons, en faisant des allers-retours constants entre passé et présent, comme un puzzle où chaque pièce trouve lentement sa place.
Jim, 15 ans, est un garçon solitaire, fils unique d’une famille aisée, mais souvent délaissé par des parents trop occupés. Tout juste arrivé dans cette nouvelle ville, il n’y connaît encore personne. Lola, 15 ans, et Ned, 17 ans, frère et sœur, vivent avec leur mère, qui les élève seule. Le destin de ces trois adolescents va s’entremêler de manière inattendue, entre réalité et virtualité. Jim, sous le pseudonyme de « The Avenger », rencontre Narco (Ned) dans l’univers des jeux en ligne et croise Toxic (Lola) un soir, dans la rue, en rentrant de l’école. C’est l’été, et comme souvent à cet âge, les liens se tissent rapidement : une amitié virtuelle avec Narco, un amour naissant avec Toxic. Mais l’automne arrive, et avec lui, les premiers nuages : les relations se compliquent, se fanent, jusqu’à l’hiver où tout semble s’effondrer.
En parallèle, le spectateur est témoin de la détresse des parents, incapables de trouver le bon chemin pour se connecter à leurs enfants. Le temps, le manque de communication, les incompréhensions creusent un fossé, qui semble chaque jour plus difficile à franchir. Le théâtre, ici, devient un lieu de réflexion profonde sur la complexité des relations humaines, qu’elles soient intimes ou technologiques.
« Toxic and The Avenger » explore avec justesse le parallèle entre la violence intime, celle que vivent les personnages dans leur quotidien, et celle omniprésente sur les écrans. Le jeu vidéo devient pour certains adolescents une échappatoire, une expérience alternative du réel, où ils se sentent exister plus fort, plus intensément. Pourtant, la réalité finit toujours par rattraper la fiction. Car quelle que soit la violence virtuelle à laquelle ils sont confrontés, elle ne pourra jamais égaler la solitude d’un enfant en manque d’amour parental. Là où le sang virtuel coule en quelques clics, la douleur réelle est, elle, bien plus profonde et persistante.
Ce projet théâtral audacieux ne se contente pas de dénoncer la violence ; il la décortique, l’interroge, la met en perspective. Il questionne notre rapport à ces conflits qui nous entourent, qu’ils soient personnels ou sociaux, petits ou grands, intimes ou collectifs. À travers cette pièce, il ne s’agit pas simplement de montrer la violence : il s’agit de l’analyser, de la commenter, de l’interroger. Car c’est par la réflexion, les mots, l’évocation, que nous pourrons comprendre et appréhender le monde qui nous entoure. Témoigner devient ici un acte politique, une invitation à rester vigilant face à nos propres violences, nos peurs, nos certitudes, mais aussi face à nos ignorances.
À la fin de la représentation, les comédiens quittent la scène sous les applaudissements. Un silence lourd de sens plane encore dans le gymnase. Puis vient le temps de l’échange. Informel, spontané, il permet aux élèves d’exprimer leurs ressentis, de partager leurs réflexions. Certains reconnaissent dans cette fiction un univers familier, celui des jeux vidéo. D’autres se sentent bousculés, interpellés par ce qu’ils viennent de voir. Chacun à sa manière a été touché par ce théâtre, qui, a su transformer un simple cours de sport en une véritable leçon de vie.
Compagnie HNA – Hôte National Artistique
Metteurs en scène : Haini Wang et Anatole du Buysson
Texte et photo : Isabelle Serro