Casquettes et chapeaux vissés sur la têtes, chaussures de marche aux pieds et bâtons dans les mains pour certains, toute la petite troupe rassemblée devant la Ferme de la Berque est prête pour se lancer dans une randonnée autour de Nampteuil-sous-Muret, un charmant village de l’Aisne, à quelques encablures de Soissons. Sauf qu’il ne s’agit pas d’une simple balade sur un chemin balisé.


Le groupe s’apprête à arpenter un sentier d’art, au fil duquel ont été installées des œuvres de land art, réalisées par des artistes et amateurs, la plupart membres de l’association Sentier d’Art en vallée de la Crise. En ce samedi de début septembre, alors que le soleil nous gratifie d’un air d’été indien, la randonnée s’offre un petit supplément d’âme. La compagnie L’Esprit de la Forge va déployer plusieurs Impromptus au fil de la balade et clôturera l’après-midi avec son spectacle P.L.I.S, une performance hybride autour du papier et de sa transformation par le pli où se mêlent également musique et danse.


Nous voilà donc partis pour un peu plus de 5 km. Le groupe, compact au début, s’éparpille au fil du sentier. Dans les odeurs d’herbe sèche, de menthe, de sous-bois, les conversations vont bon train. On se raconte ses vacances, on détaille ses projets, on se remémore des instants partagés. Et à un rythme régulier, on consent à une petite pause pour découvrir les œuvres d’arts, toutes conçues à partir de matériaux de récupération, principalement en bois, parfois magnifiées par des touches de céramiques ou de peinture.


Béatrice et Elisabeth ouvrent la marche. Amatrices de randonnées, elles ont sauté sur l’occasion « On aime beaucoup la randonnée alors quand on a vu qu’ils proposaient une marche nous sommes venues. Et puis nous avions bien aimé découvrir les œuvres du sentier il y a quelques années. » Un peu plus loin derrière elles, un petit groupe écoute les explications de Jean-Luc alors qu’il détaille les coulisses de la confection d’une de ses œuvres.


Bientôt, la quinzaine de marcheurs arrive au sommet de la colline où s’étale à perte de vue la vallée. Et alors que le vent souffle dans les herbes sèches, Silvia fait vibrer les cordes de son violoncelle et entame le prélude d’une suite de Bach. Le temps de quelques minutes, le silence se fait. « Ça apaise, c’est dur de repartir, même de reparler après tout cela », « Merci pour ce beau voyage »… Les compliments s’enchaînent à l’adresse de l’artiste, qui a elle aussi été cueillie par la beauté du lieu. « C’est un endroit magnifique, très inspirant. J’étais un peu embêtée par les mouches et le vent était un peu fort, je craignais que l’on n’entende pas bien les sons, mais c’était un très beau moment. »


Il faut déjà reprendre la route. La marche se poursuit dans un sous-bois ombragé, avant d’arriver aux abords d’un étang. Une fois encore, sur une large langue de pelouse, Silvia attend. La musique se met de nouveau à résonner. « Ça m’a fait voyager, j’ai eu l’impression d’être hors du temps. », détaille Aline, « Il faut se laisser surprendre, accueillir l’inattendu. » Nous sommes dans les derniers kilomètres de la randonnée, les yeux s’attardent sur les lézards verts, les grenouilles et les papillons. Les plus pointus reconnaissent les gentianelles en pleine floraison. On croise une ancienne gare, sur une ligne qui reliait Vauxrot à Oulchy-Breny, les sous-bois ont laissé place aux champs et il est bientôt temps de bifurquer pour rentrer à la ferme. « Pourquoi aller chercher loin le dépaysement alors qu’il est juste à côté ? » s’interroge tout haut Sylvain.

C’est encore une fois en musique que sont accueillis les marcheurs. Mais cette fois Silvia est accompagnée de Hacen. Son corps délié semble fendre l’air, ses mouvements répondre à une cadence que la mélodie du violoncelle lui suggère. Le corps et l’instrument semblent ne faire plus qu’un. Mais voilà que s’invite un voile de papier de soie. Un voile lisse, qui se tend et se détend, relie la musicienne et le danseur, et devient bientôt comme une prolongation du corps de Hacen.




Puis viennent ces formes de papiers plissés. Une première, ronde comme un gros galet mais qui semble respirer au contact de l’archet. Le papier s’incarne, est-il un enfant ou un animal que l’on veut chérir et duquel on veut prendre soin ? La seconde forme se fait plus pointue, ses plis resserrés laissent entrevoir tantôt un chapeau, une tête d’animal ou une canne de music-hall. Puis vient la dernière création, comme un immense pétale qui se déploie et se replie, et qui n’est pas sans rappeler le travail vestimentaire du créateur japonais Issey Miyake.


Le public de marcheur est conquis, le temps semble comme suspendu. Une fois que l’archet a quitté l’ultime corde du violoncelle, le silence se fait et se maintient. La magie perdure quelques instants, avant que les applaudissements viennent remplir l’enceinte de la ferme. « C’était magnifique. Le violoncelle avec la danse… c’était un moment de paix et de recueillement », confie Chantal. Sylvie est elle aussi conquise « J’ai trouvé ça plein de rêve et de créativité. La beauté du papier plié, la participation du vent, j’ai été complètement prise dedans. »





Michel, un des organisateurs, a lui aussi été impressionné par la prestation de la compagnie. « Nous avons décidé de travailler ensemble car nous sommes pour que la culture pénètre le monde rural. À la ferme nous faisons venir des créateurs de land art, des céramistes, une compagnie qui joue de l’orgue de Barbarie… C’est la campagne ici, mais c’est l’art avant tout. »

Texte et photos : Clémence Leleu