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Pour l’amour des lettres

  • Aisne

Chère lectrices, cher lecteurs,

Je voudrais vous raconter cet Impromptu de la compagnie Seizième Étage. C’était le dernier jour de l’été, il faisait encore doux et il y avait une vente de livres d’occasion dans la cour de la médiathèque Jean Macé de Château-Thierry. J’ai fait quelques pas au milieu des stands pour tenter de trouver Hervé. Car avec ses comparses Hala et Léo, ils proposaient aux passants et aux exposants d’écrire une lettre. À qui ? Eh bien à qui ils veulent. Pour quoi faire ? Pour la beauté du geste. Celle de s’accorder quelques minutes afin de coucher sur le papier des mots que l’on a envie de dire depuis trop longtemps, que l’on garde en soi par pudeur, par peur ou parce que l’on a d’autres choses à faire. Des mots légers, des mots lourds ou des mots d’amour. Écrire parce qu’on nous le propose, ça n’est pas si courant finalement. Qu’on nous dise : « écrivez ce que vous voulez. » Pas pour l’administratif, pas pour l’école. Non, juste pour soi et pour celui ou celle à qui est destinée notre missive. 

Sauf qu’il y a un petit truc en plus que proposent Hervé, Hala et Léo. Ils vont, à la fin de l’après-midi, lire les lettres à voix haute. Mais ça, j’y reviendrai. D’abord je voudrais vous dire que j’ai un peu le trac. Écrire pour moi normalement c’est facile. Ou disons, pas trop compliqué, parce que c’est mon métier. Mais si, aujourd’hui, je n’arrivais pas à correctement transmettre toute l’émotion qui sourdait durant ces quelques heures ? Parce qu’il s’en est passé des choses remarquables. Il y avait Océanne, en classe de 3e, qui a écrit une lettre à son professeur d’allemand « J’ai des choses à lui dire. Je ne m’entends pas avec lui. Alors ça me fait du bien de faire cette lettre » m’a-t-elle expliqué. « C’est spécial hein ? Mais c’est comme ça, c’est ce qui m’est venu. » 

Quelques chaises plus loin se trouvait Marcelle. Marcelle n’est pas son vrai prénom, elle a requis l’anonymat. « Parce que dans cette lettre j’accepte de dévoiler des choses que je n’ai jamais dites. » Marcelle participe à des ateliers d’écriture depuis seize ans, en donne aussi depuis quelques années. « J’aime autant écrire qu’écouter les textes des autres. En général j’essaie de filtrer le plus possible parce que je n’aime pas les écritures indécentes mais là disons que je me suis livrée. » L’écrivaine s’est même fixé une consigne supplémentaire : ne rien modifier, ne rien raturer, laisser les choses comme elles sont venues parce que comme elle l’explique « Ça dit des choses de soi. »

Alors que je m’accorde une petite pause pour flâner au milieu des livres, j’entends Isabeau qui pose quelques questions sur ces gens qui sont là, à écrire. J’ai l’impression que ça l’intéresse alors je m’approche pour lui demander si elle aussi, elle va se lancer. Réponse : « non ». Un non bien franc. C’est bien ça aussi finalement, d’être sûre de ne pas vouloir faire quelque chose. « Pour écrire il faut être disponible et je ne le suis pas. C’est de la générosité l’écriture, il faut savoir donner de son temps. Je suis dans des considérations matérielles en ce moment et je n’ai pas l’esprit pour autre chose. » En a-t-elle déjà écrit des lettres auparavant ? Affirmatif. « En réalité, si je n’ai pas le temps d’en écrire, j’aimerais bien en recevoir. Ça fait toujours plaisir. » lance-t-elle dans un sourire. 

À la grande table installée à côté de la porte de la médiathèque, une mère et ses deux filles sont penchées sur leurs feuilles. Elles en ont l’habitude parce que chez elles, lorsque ça ne va pas trop, on s’écrit. « Écrire ça aide quand on arrive pas à dire les choses. », raconte Judith. Cet exercice, ça lui a permis de « faire sortir beaucoup de souvenirs ». Elle a écrit au fils de son frère qui est décédé. « Les gens qui sont partis, ils sont quelque part. Alors j’ai écrit pour lui. » 

Sylvie aussi a écrit à une absente : sa sœur. Cette lettre, elle devait l’écrire depuis 10 ans. C’est sa psy qui lui avait conseillé. Sauf qu’elle n’a jamais réussi, jusqu’à ce samedi. « La démarche d’Hervé permet de sortir ce qu’on a dans le corps et le cœur. Je me suis donc dit que c’était l’occasion de m’y confronter. J’ai hâte d’entendre la lecture à haute voix. » 

Parce que oui, à 17h30, Hervé, Hala et Léo ont sorti l’enceinte, saisi le micro et ont commencé à lire les lettres collectionnées au fil de l’après-midi. Il y avait les lettres dont je vous ai parlé. Mais aussi des lettres au Père Noël, écrites par un enfant amateur de Pikachu et d’affaires de ménage. Il y avait aussi la lettre de Nathalie qui a écrit à son peintre favori, Vincent Van Gogh. Vincent, comme elle l’appelle, c’est son premier choc artistique. « Je voulais parler de lui, et puis de moi aussi, à travers lui. » Pendant ces lectures, le temps semble suspendu. Il y a des yeux qui s’inondent alors que les mots couchés sur le papier s’élancent dans cette cour pavée. Des téléphones qui filment, pour encapsuler le souvenir. Et puis il y a des artistes, qui maîtrisent parfaitement leurs lectures mais dont on sent la vive émotion. 

C’était mon dernier Impromptu 2024 pour le site de Plaines d’été, je crois que c’était une belle manière de clôre la saison. Isabeau a raison, « C’est de la générosité l’écriture », et il y en avait cet après-midi-là. Celle d’inconnus qui acceptent de se livrer et celle d’artistes qui ont conscience qu’ils ont entre les mains des mots qui valent beaucoup et qu’ils ont chéri comme des trésors. 

PS : la compagnie recherche la lettre de la petite Eloahne qui a 7 ans (« 8 ans le 20 octobre ») et qui avait écrit une belle lettre pour son papa. Elle devait même la lire au micro, mais elle est partie avant. Elle n’avait jamais écrit de lettre, elle avait prévu de la poster « je suis sûre que mon père va être heureux de la recevoir après le long voyage qu’elle va faire jusqu’à Saint-Martin ». Si vous la connaissez, dites-lui qu’elle nous a manqué et que la compagnie aimerait récupérer au moins le texte pour garder une trace de cette première lettre de la vie d’une petite fille.

Clémence 

Texte et photos : Clémence Leleu

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