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Oblique(s), l’enfance retrouvée

Une musique envoûtante, étonnante et peut-être un brin inquiètante fait se tourner simultanément la soixantaine de petits visages assis sur les confins de l’aire de jeux qui fait face au centre socio-culturel La Rotonde de Château-Thierry. Ils sont trois, trois adultes arnachés de drôles de sac à dos musicaux à investir cet espace généralement propriété exclusive des enfants pour leur proposer leur spectacle Oblique(s). Dans des mouvements gracieux, Judith, Antonin et Dorothée délimitent leur espace scénique à l’aide de rubans blancs.

Toutes les paires d’yeux sont braquées sont eux, suivant le moindre de leur mouvement, avec toujours cette musique qui semble s’échapper du corps des artistes. Les artistes arpentent alors leur scène du jour : une aire de jeux, composée d’un tobbogan, de filets, d’une plateforme et d’un pont de singe. Pendant une vingtaine de minutes, leurs corps s’y hisseront, s’y glisseront, y déambuleront. Avec un contraste saisissant : la structure est beaucoup trop petite pour leurs corps. Ou plutôt : leurs proportions d’adultes sont beaucoup trop importantes pour la structure. Pourtant, Judith, Dorothée et Antonin arriveront à nous le faire oublier.

Le trio éparpillé va tout d’abord arpenter les abords des jeux, déambuler sur ce sol si particulier que l’on ne retrouve nulle part ailleurs, dur et à la fois moelleux. Puis se rejoindre pour une chorégraphie avant de laisser leur paquetage mi-enceinte mi sac à dos de Minions pour partir à l’abordage de ces jeux qui prennent des allures de vaisseau.

Du côté du public certaines mains se cachent à moitié les yeux pour éviter de voir une potentielle chute lorsque les artistes arrivent au sommet, d’autres masquent les bouches tellement la performance est impressionnante. Des mains qui bougent, des pieds qui tapotent le sol trahissent aussi l’effervescence et l’excitation de voir ces « grands » s’activer si près d’eux, sur un territoire qui est quotidiennement le leur.

Les minutes s’égrainent et d’un coup, chacun des artistes rejoint ce ruban blanc qui faisait frontière entre la scène et le public et d’un coup de main le fait tomber au sol avant d’appeler le jeune public à les rejoindre. Si au début personne ne bouge, n’osant pas tout à fait s’autoriser à « monter sur scène » il suffit qu’un petit corps fasse le premier pas pour qu’une marée d’enfants joyeux recouvre presque intégralement l’édifice. 

Mais ce n’est pas fini. Car une fois le salut passé, les enfants assistent à divers ateliers mis en place par la compagnie pour les sensibiliser à toutes les notions scientifiques qui composent la chorégraphie : apesanteur, inertie, gravité, rebond… On joue à faire tenir en équilibre des bouchons de liège, on teste de limite de son équilibre sur un pied, on étend son corps jusqu’au ciel en sautant. Le tout dans des rires communicatifs.

Qu’en a pensé le public du centre aéré ? Eh bien c’est un succès. Si Lyamm a aimé la danse et « la musique bizarre », Mathéo lui a particulièrement apprécié la chorégraphie, notamment « quand ils ont tenu super longtemp ssur une jambe sans tomber. Et puis on avait l’impression que c’était une musique pour l’espace ». Anae, du haut de ses 6 ans a « adoré les galipettes », espérant pouvoir un jour réussir « à faire tout pareil ». Adam, lui a trouvé aussi la musique « bizarre, j’avais jamais entendu ça. Les gens ils dansaient bien, ils ont été forts, ils sont montés, ils sont allés tout en haut du parc ! » Luce, elle, a été impressionnée « quand ils ont fait la chandelle. C’était beau et c’était drôle de les voir là où on joue le matin. »

Ce jumelage entre chorégraphie et science a été imaginé par Audrey Bonnefoy, la responsable artistique de la compagnie Des petits pas dans les grands et mis en scène par Dorothée « ça me parlait beaucoup cette idée de faire des ponts entre le monde scientifique et les mouvements dansés. Je voulais aussi qu’entre les trois protagonistes il y ait des jeux de circulation et de relais. », explique l’artiste. « C’est intéressant de travailler sur un territoire nouveau à chaque fois, ça donne une liberté et en même temps ça oblige à une concentration maximale. »

Mais alors qu’est ce qu’on ressent lorsque l’on n’est plus un enfant et que l’on joue un spectacle dans un endroit que l’on a déserté depuis longtemps ou dans lequel on revient en tant que parents ? « C’est léger et joyeux de réinvestir un espace qui ne nous est pas dédié », confie Antonin. « L’idée du spectacle est de faire venir les enfants dans des lieux qui leur appartiennent, et qu’ils le découvrent avec un autre visage. » « Et puis on cherche aussi sans doute un peu à retrouver notre âme d’enfant. », conclut Dorothée.

Texte et photos : Clémence Leleu

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