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Les clichés sexistes du cinéma décortiqués

PLAINES D’ÉTÉL’Atelier de construction(manuel de montage pour filles et garçons)9 septembre – Englos

Après l’avoir joué dans le off du Festival d’Avignon, la compagnie Grand Boucan présentait pour Plaines d’été son spectacle L’Atelier de construction (manuel de montage pour filles et garçons). Une pièce drôle et intelligente qui ouvre le regard sur l’histoire du cinéma et les positions respectives qu’y occupent les femmes et les hommes.


Avant la représentation du spectacle L’Atelier de construction (manuel de montage pour filles et garçons) se tenait une assemblée générale de l’association Elles aussi. Cette structure œuvre pour une meilleure représentation des femmes en politique et pour la parité dans toutes les instances élues. Véronique Genelle est la responsable de l’antenne Hauts-de-France de l’association : « Bruno Tuchszer de la compagnie Grand Boucan m’a contactée et m’a dit que le spectacle qu’il propose est en résonance avec nos combats. Comme nous avions l’Assemblée générale de l’antenne à organiser, cela allait parfaitement. Martine Simon, la maire d’Englos, a été d’accord pour accueillir notre AG de l’antenne et le spectacle ». En cette fin d’après-midi du samedi 9 septembre, à la salle Kalimera à Englos, une photo de groupe des participant(e)s est réalisée, puis le spectacle peut commencer.


Les comédiens Carine Bouquillon et Bruno Tuchszer, qui ont conçu et interprètent la pièce, se présentent et se lancent dans un ping-pong de répliques à un rythme rapide. Elle est une femme et lui, un homme. Ils alignent des clichés sur les femmes et les hommes. La problématique du spectacle est posée et ils vont l’explorer en rejoignant une banquette. Le couple se calme, confortablement installé, et regarde des extraits de films. Une réplique de Karaté Kid les fait bondir : « Tu frappes comme une fille ! ». Cette réplique semble anodine. Ils disent : « Ce n’est pas grand-chose, mais avant il y a eu tout ça ! ». Partant de cette réplique, les deux comédiens vont plonger dans l’histoire du cinéma et en démonter les intentions, dénonçant tour à tour les répliques sexistes, la dévalorisation régulière voire systématique des femmes. Pour illustrer cette envie de déconstruire le discours de certains films, ils vont déjà chambouler le décor du spectacle, constitué de cubes en bois.


Le rythme de la pièce redémarre alors sur les chapeaux de roue et les séquences s’enchaînent avec beaucoup d’humour et de fantaisie. Comme ce moment où Bruno Tuchszer prend tout l’espace, passe devant sa partenaire, lui coupe la parole, la rend inaudible et invisible. Dans le moment d’après, il est en admiration devant elle et la filme, mimant le cadre d’une caméra avec ses doigts. Tous ces passages sont là pour illustrer la place des femmes dans le cinéma, leur présence et leur temps de parole étant réduits au maximum, et leur plastique souvent voire systématiquement mise en avant. Les spectateurs apprennent aussi ce qu’est le « syndrome de la Schtroumpfette » qui analyse la surreprésentation, volontaire ou inconsciente, des protagonistes masculins dans les œuvres de fiction au détriment des protagonistes féminins. En particulier sur les affiches de films. Cette scène se déroule sur le titre, de circonstance, « It’s A Man’s Man’s Man’s World » de James Brown.


Shakespeare et Aristote sont convoqués par les deux comédiens qui expliquent l’arc narratif d’un film et l’amour du héros, objet du désir féminin. Puis Carine Bouquillon et Bruno Tuchszer se lancent dans l’écriture d’un scénario imaginaire qui déconstruit les codes, et ensuite dans une partie du jeu « Qui est-ce ? » où on constate que toutes les actrices se ressemblent dans leurs âges, leurs morphologies, leurs coiffures, etc.


Le couple de comédiens regarde de nouveaux extraits de films et réfléchit sur le harcèlement et le consentement au cinéma. Et toujours sur la place des femmes, leur posture de séduction et l’hypersexualisation. Chaque séquence montre des évidences, fait sourire (jaune) et fait réfléchir.

Le spectacle est bien rôdé. Depuis sa création au printemps 2022, il a déjà été joué une quarantaine de fois, dont quinze représentations dans le off du Festival d’Avignon cet été. Pour Plaines d’été, la compagnie Grand Boucan a privilégié différents types de lieux et de publics : « Nous avons envie de toucher en priorité les jeunes, les étudiants en cinéma et les structures qui militent pour les droits des femmes », précisait Bruno Tuchszer après le spectacle.


Les deux comédiens peuvent reprendre leur visionnage, comme apaisés par tout ce qu’ils ont dit et appris sur les films et le cinéma, par tous ces nœuds d’interprétation qu’ils ont démêlés. L’objectif de la pièce étant que les spectateurs de films voient « mieux », soient plus conscients de ce qu’ils voient et deviennent ainsi plus libres.

Phélissye et Dylan, tous les deux âgés de 25 ans, ont bien reçu le message. « J’ai beaucoup aimé le spectacle », commence Phélissye. « Je suis assez renseignée sur le féminisme. C’est un sujet qui m’intéresse. Après avoir vu ce spectacle, je vais changer ma vision sur certains films, comme sur la saga Twilight par exemple. » Si la jeune femme est habituée à aller au théâtre, Dylan est complètement novice : « C’est la première fois que je vois une pièce. Les comédiens jouent bien, c’est impressionnant ! Avec ce ton dans la voix qui change régulièrement. » Phélissye a beaucoup apprécié la mise en scène : « Elle est remarquable. En particulier l’installation avec les blocs qu’ils déplacent et ces papiers qu’ils accrochent. Tout est bien orchestré. » Les deux jeunes adultes continuent ensuite de discuter ensemble sur leur interprétation des films et sur les exemples qui ont été donnés dans le spectacle.


Geneviève, 65 ans, est venue spécialement de Valenciennes pour l’Assemblée générale et pour le spectacle. Elle est conquise : « C’est très fin comme spectacle, dans la façon dont ils parlent de la complexité de l’organisation de la société, de cette vision d’interprétation différente entre le romantisme et le harcèlement. J’ai beaucoup aimé. La mise en scène est dynamique et le spectacle est pertinent, cohérent. Il nous renvoie à des situations déjà vécues. » Ancienne élue à la culture de la Ville de Valenciennes, elle va souvent au Phénix, la Scène nationale de sa ville. « C’est le rôle du théâtre d’analyser, de faire réfléchir les spectateurs ! », dit-elle enfin.

Patrick, 72 ans, accompagne son épouse Christiane, la trésorière de l’antenne Elles Aussi. C’était l’un des seuls hommes dans le public. « Je ne m’attendais pas à ça et j’ai été surpris. Cette façon de décortiquer le cinéma pour voir le message qu’on veut nous faire passer, j’ai trouvé ça génial ! Ces clichés que je ne percevais pas nécessairement, j’ai trouvé cela très intéressant de nous montrer tout ça. Je ne vais plus beaucoup au théâtre et au cinéma à cause de ma vue. Donc, venir assister à ce spectacle, c’était exceptionnel. »

Le mot de la fin revient à Véronique Genelle, la responsable de l’antenne Hauts-de-France de l’association Elles aussi : « C’était une très bonne idée d’avoir cette pièce et je l’ai bien aimé. Cela nous fait réfléchir. Avec l’association Elles Aussi, nous voulons faire avancer la réflexion et les idées. C’était formidable d’associer les deux, l’AG et le spectacle. Cela nous a réunit. »



Texte : Olivier Pernot
Photos © Olivier Pernot

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