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La vie de labeur d’une mascotte

  • Nord

PLAINES D’ÉTÉMascotte31 août – Lille

Le Centre L’Espoir à Lille est un centre de rééducation fonctionnel pour les personnes souffrant de problèmes de locomotion. Dans cet endroit où les corps sont meurtris, le spectacle Mascotte, proposé par la compagnie Jusqu’ici tout va bien, a une résonance particulière car il y est question de corps justement, et d’entravement. Ce mercredi 31 août, le gymnase du centre de soins se remplit donc progressivement de patients en fauteuils roulants, en déambulateurs, en béquilles. Il y a même une personne dont le lit a été amené dans la salle. Cela fait une trentaine de spectateurs : des patients, mais aussi quelques membres du personnel et des visiteurs de l’extérieur.

© Olivier Pernot

Au fond de l’espace scénique, un énorme costume est posé sur un portant. Le comédien Adrien Taffanel vient d’abord lire un texte au micro : les clauses de son contrat de mascotte. On lui demande de déborder d’énergie, d’être toujours de bonne humeur. Alors que lui, avec ses gros gants blancs, peine à déplier la feuille de papier sur laquelle est imprimé son texte. « J’ai moi-même été mascotte dans un village club », confiera Adrien Taffanel après le spectacle. « Et j’ai de nouveau enfilé un costume de mascotte pour un club de foot quand j’étais en train d’écrire le spectacle. Je voulais partir du réel pour aller vers la fiction, et parler de l’anonyme qui est dans cet énorme costume. En tant que circassien, j’avais également cette envie de travailler dans un corps qui n’est pas le mien et faire de l’acrobatie. » Créé fin mai à la Scène nationale Culture Commune, dans le bassin minier, le spectacle Mascotte a déjà été joué une quinzaine de fois. « Le dispositif Plaines d’été a permis d’amener le spectacle dans beaucoup d’endroits différents : un EHPAD, un centre de loisirs pour enfants, une salle des fêtes dans un village, un collège, un centre pour Mineurs non accompagnés. Plaines d’été nous permet de toucher des publics qu’on ne touche pas habituellement. »

Adrien Taffanel enfile donc son costume, difficilement. Il disparait littéralement et se transforme en mascotte. Une chanson démarre, sympathique et joyeuse. C’est une chanson pour mascotte, qui plait aux enfants. Ce morceau, « Let’s Get Together » chanté par Hayley Mills, est extrait d’un film Walt Disney de 1961. La mascotte gesticule dans tous les sens, balançant ses bras, tenant ses oreilles, avec ce large sourire figé sur son visage. La scène est drôle. A chaque fois que la chanson s’arrête et que la mascotte peut souffler, le morceau redémarre quasi immédiatement, et la mascotte s’active de nouveau.

Dans cet élan joyeux et forcé, la mascotte vient taper dans les mains des spectateurs, fait des hugs et traverse le public plein d’entrain. Et la chanson continue. S’arrête. Redémarre. Peu à peu, avec cette musique qui rentre dans la tête sans discontinuer, ce spectacle rend « fou » la mascotte. Elle commence à s’énerver, à frapper le sol et à faire des bras d’honneur. Elle finit par débrancher un câble et couper la musique. Mais on entend encore un filet de son, en sourdine. Cela semble venir de son corps de mascotte. Alors le comédien se saisit d’un micro et l’utilise comme d’un détecteur pour trouver la source de ce son.

Après avoir cherché le son, la mascotte s’écroule au sol. Elle se relève avec difficulté. Sa tête s’est retournée : elle ne peut plus rien voir. La mascotte gesticule puis retire sa tête. Etrange moment avec cette mascotte qui a sa tête posée dans un gant sur fond de musique synthétique inquiétante. La tête du comédien a complètement disparu dans la mascotte. Il raconte alors sa vie de mascotte, ses rapports avec les enfants et les adultes qui le malmènent. Il dit : « Des fois, je suis comme possédé là-dessous ». Puis il s’extirpe du costume, en sueur, le tee-shirt trempé. Le comédien devient alors acrobate : marchant sur les mains, plongeant les bras en avant dans les jambes du pantalon de la mascotte, devenant un animal étrange sans tête qui se déplace, ondule, avec des mouvements entre le cirque et la danse contemporaine.

Dans ce lieu inhabituel pour un spectacle et devant ce public dont la principale préoccupation quotidienne est de réapprendre à bouger, à marcher, la prestation d’Adrien Taffanel trouve un fort écho. « Je suis ébloui », commente Eric, 57 ans, originaire de Mont-Saint-Éloi. « Le comédien est super. Je ne sais pas comment il fait. Il a une telle souplesse. Je n’avais jamais vu un spectacle en vrai, juste à la télé. Et là, je suis ébloui ! » « Je n’avais jamais vu un spectacle comme ça », se réjouit aussi Marie-Martine, 70 ans, habitant à Denain. « C’était très bien, super. Le monsieur qui bouge est merveilleux. Le spectacle est drôle aussi. C’est génial que ce spectacle vienne dans le centre. Je suis à l’hôpital depuis février et c’est le premier spectacle que je vois. » Jean-Claude, 50 ans, de Lille, est également enthousiaste : « C’était marrant. J’ai déjà vu des spectacles mais pas comme celui-là. Ça fait du bien de voir un spectacle. » Christelle, 50 ans, originaire d’Armentières, a trouvé le spectacle « marrant » : « La musique est comme une comptine et on dirait un spectacle pour enfants. Je ne vois pas beaucoup de spectacles et ça m’a plu ! »

À la toute fin du spectacle, après avoir salué, Adrien Taffanel, libéré de son costume, vient donner la tête de la mascotte à un spectateur en lui disant : « Même heure, ici, demain ». Ce spectateur choisi au hasard s’appelle Florian. Il est orthophoniste au Centre L’Espoir. Lui aussi a apprécié le spectacle : « Il y avait de l’innocence et du tragique, beaucoup de tragique. J’attendais qu’il sorte du costume et qu’il retrouve sa vie. Le spectacle était très incarné. Beaucoup de patients ont peu de loisirs au centre, à part regarder la télévision ou faire des jeux de société entre eux. Donc ça fait du bien d’avoir du spectacle vivant qui rentre ici. Surtout que c’est un spectacle accessible pour les personnes qui ont des troubles de la compréhension. Il y a de beaux moments de lenteur dans les mouvements. » Sophie, la compagne de Florian, a également assisté à la représentation. « Cette histoire était profonde. Cela m’a touché de voir cette personne vivant dans cette mascotte qui est sa prison. »


Texte et photos : Olivier Pernot

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