La modification des organes génitaux chez les poissons du lac de Thoune. Tel est le nom de la recherche menée par deux chercheurs incarnés par Élodie Segui et Djibril Mbaye de L’organisation. Ces derniers ont donné une conférence pour livrer le fruit de leur travail investi auprès des élèves de la section théâtre du lycée Jules Uhry à Creil, mercredi 11 septembre 2024. Performance soutenue par la DRAC Haut-de-Somme avec le dispositif Plaines d’été.
Installés dans un espace en contrebas de la Faïencerie, dans une pénombre intimiste, les lycéens ont été accueillis avec un verre d’infusion de sauge. « C’est très bon pour le système endocrinien, » a précisé la scientifique. Sur une table, étaient posés des bacs avec de l’eau du lac de Thoune. On pouvait y voir des algues et autres végétations ainsi que des câbles électriques. L’eau du lac de Thoune a été étudiée en guise d’exemple mais elle n’est pas la seule, loin de là, à être contaminée par des pollutions diverses. Entrepôts d’objets que l’on souhaitait faire disparaître, comme des armes, des déchets radioactifs, et aussi, plus sournois, des résidus de pilules contraceptives, acheminée par l’urine. Il a ensuite été remarqué que les poissons habitant cette eau avaient changé de sexe. Les bancs se sont féminisés.
Dans un flot de données continu livré avec une énergie galvanisante, la conférence a emporté les étudiants dans une scène décalée et décoiffante. Les scientifiques étaient impliqués par leur sujet au point d’être totalement submergés par leurs émotions. Cela s’est traduit, notamment, par un impressionnant saignement de nez et des bouffées de chaleur. La scène s’est soldée par une performance musicale de l’eau du lac.
Pour finir la rencontre, les lycéens ont été invités à poser des questions.
« C’est vraiment l’eau du lac ?
– Clairement pas ! s’est amusé Élodie Segui. C’est l’eau des toilettes. Et je ne saigne pas du nez pour de vrai non plus. C’est du faux sang que j’ai acheté dans un magasin de théâtre. Je l’ai mis dans un kleenex et je l’ai posé sur mon nez. Mais sinon, toutes les informations scientifiques sont vraies !
– Comment avez-vous eu l’idée de ce spectacle ?
– Je suis tombée sur cette recherche, La modification des organes génitaux chez les poissons du lac de Thoune. Il y a cette histoire de munitions, qui symbolisent la mort, Thanatos, et d’un autre, les pilules contraceptives, l’amour, Eros. Tous deux sont essentiels à la création. Il y a une grande part laissée à l’improvisation également. On ne fait jamais deux fois la même performance.
– Combien de temps vous avez mis pour apprendre tout ça ?
– Deux semaines, tranquille, indique Djibril Mbaye. C’est vrai que c’est chaud car il y a le côté scientifique. J’ai des fois peur de raconter n’importe quoi. Et qu’en plus il y ait un chercheur dans l’audience.
– Nous sommes partis de quelque chose de très concret, poursuit l’actrice, et à chaque fois on dérape dans l’absurde. Comment ça se casse la figure, comment ça va ailleurs.
– Pourquoi vous faites du théâtre ?
– Dans la vie, il y a des choses que je n’arrive pas à résoudre. Mais avec la fiction, on a un établi magique. Sur scène, il n’y a pas de tabou. Les scientifiques finissent en sous-vêtements car c’est important pour moi de dédramatiser ce rapport au corps. Ça peut troubler mais c’est important que ce ne soit pas caché. »
À regret, les étudiants ont dû rejoindre le lycée. « Franchement, c’était étonnant, a confié Ayat, 17 ans. On s’y attendait pas. Ça partait dans tous les sens. C’était difficile à comprendre au début, avec tous ces termes scientifiques. Il y a un mélange entre le sérieux et l’humour. Je me suis dit que ça me plairait beaucoup d’être à l’aise comme ça sur scène. Là c’est la première fois que je fais du théâtre cette année. »
Émeline, 15 ans, est en seconde mais elle est déjà montée sur les planches au collège. « J’aime la manière dont on peut exprimer ses émotions. Les rôles que je préfère ? Eh bien, plutôt les rôles principaux. J’ai trouvé la performance que l’on vient de voir super comique. Ça m’a fait rire. Même si au fond, c’est super choquant de voir tout ce que la guerre a laissé comme marques. Ce que les gens peuvent jeter comme ça. Ce que nos ancêtres ont fait. Parfois, face à la situation de la planète, j’ai envie de partir loin et de ne plus rien entendre. »
Texte et photos : © Gaëlle Martin