Sous le soleil de juillet, la cour de la Communauté Emmaüs de Saint-Quentin s’est transformée en un espace d’émotions partagées. Avec « 1200 tours/minute », Renata et Laetitia de la Cie Le Compost ont tendu leurs draps comme autant de toiles vivantes où se sont accrochés souvenirs, confidences et récits intimes. Une exposition participative qui invite à écouter, à raconter et, surtout, à provoquer la rencontre.
Mercredi 16 juillet, le soleil de l’après-midi caresse doucement la cour de la Communauté Emmaüs de Saint-Quentin dans l’Aisne. Les visiteurs, venus pour chiner un meuble, un livre ou une trouvaille du hasard, ne se doutent pas qu’ils vont repartir avec bien plus qu’un objet : un moment suspendu, un voyage au cœur des souvenirs et des émotions.




Ce jour-là, la compagnie Le Compost, emmenée par Lætitia Troussel-Luber et Renata Antonante, y installe sa performance : « 1200 tours/minute ». Quelques cordes tendues, des draps blancs accrochés comme autant de toiles prêtes à accueillir des confidences. Le décor est minimaliste, presque fragile, mais il agit comme un écrin pour la parole.
Car « 1200 tours/minute » n’est pas seulement une exposition vivante : c’est une performance participative, pensée pour collecter des récits intimes et, surtout, provoquer la rencontre.
Les artistes utilisent une technique innovante pour faire parler les tissus : elles utilisent la craie noire des travailleurs, la frottent contre les plis et les reliefs des vêtements confiés, jusqu’à ce que leurs formes s’impriment comme des fantômes sur le drap blanc. Ces empreintes, à la fois ombres et traces, révèlent une mémoire silencieuse, comme si chaque tissu déposait un souffle de vie sur cette toile immaculée.
Très vite, les deux conteuses, véritables lavandières de l’intime, invitent à la confidence. Elles racontent des histoires où le tissu devient un personnage à part entière, témoin silencieux des vies qu’il a frôlées. Les draps claquent doucement sous le vent, comme pour ponctuer chaque mot. Le public, d’abord passants, puis spectateur, devient peu à peu acteur de ce musée vivant. On ne se contente pas d’écouter, on dépose aussi ses souvenirs, telle une caisse de résonance, comme on confierait un secret murmuré au creux d’un tissu.




C’est alors que jaillissent des récits bouleversants. Une femme raconte avec émotion les robes brodées rapportées du Maroc, précieuses traces de la mémoire familiale et de la culture de son pays. Une autre évoque, la voix tremblante, le vêtement de sa maman trop tôt disparue, celui qu’elle garde dans une armoire, qu’elle respire et enroule autour de ses épaules lorsque le manque devient insupportable. Les torchons qui ont traversé des générations, usés par des mains qu’on ne connaît plus, surgissent comme des témoins muets d’un passé commun.
Puis vient un moment qui fait sourire et intrigue : la lingerie d’une femme marin, symbole de courage, de féminité et de vie en mouvement, exposée comme un objet de mémoire.
Enfin, un homme, les yeux baissés, raconte sa fuite. Il a dû quitter l’Irak, emportant dans sa course précipitée, un long manteau gris en laine bouillie, dernier fragment de sa vie d’avant, qu’il n’ose plus porter mais qu’il chérit comme une relique.





Ce qui frappe, c’est la force universelle de ces récits. Chacun, qu’il soit compagnon d’Emmaüs, client de passage ou simple curieux, se reconnaît dans ces histoires de tissus. Car derrière chaque vêtement, chaque drap, se cachent des émotions, des mémoires enfouies, des fragments d’humanité. Qui aurait pu imaginer que des textiles, banals en apparence, enferment autant de souvenirs et d’histoires ?
Le temps semble s’étirer. On est loin, très loin, des cadences aveugles et bruyantes de la fast fashion. Ici, rien n’est jeté, tout est raconté, protégé, transféré. Chaque fil devient un lien, chaque pli une cicatrice, chaque tâche une anecdote. Et le public, porté par cette atmosphère douce et poétique, se prend au jeu. On parle, on se souvient, on se confie. On lave le linge, mais pas seulement : on lave aussi le cœur.



Quand la dernière histoire s’achève, il y a un instant de silence, comme si chacun retenait encore un peu de ce moment suspendu. «1200 tours/minute » n’est pas seulement un spectacle. C’est un geste de partage, une invitation à ralentir, à se rencontrer, à écouter ce que nos objets et nos mémoires ont à dire.
À chaque empreinte de craie, c’est un pan de mémoire qui se révèle, comme si les draps devenaient les gardiens silencieux de nos histoires, de nos blessures et de nos joies
Crédit texte et photos : @IsabelleSERROPhotography