PLAINES D’ETE – Passons à autre chose – 18 septembre – Loos
Ecrit et mis en scène par Bernadette Gruson de la compagnie Zaoum, le spectacle Passons à autre chose était présenté le lundi 18 septembre à la Faculté de médecine à Loos. Un spectacle fort sur le patriarcat qui doit beaucoup à la personnalité du comédien Jérémy Dubois-Malkhior, à son implication corporelle et à son humour.
La Faculté de médecine à Loos fourmille d’étudiants, dans le hall, dans les couloirs. Et malheureusement dans la salle de conférence qui accueille le spectacle il n’y a qu’une petite dizaine de personnes. Avec cette particularité, il n’y a quasiment que des femmes… et seulement deux étudiantes. Pourtant ce spectacle était facilement accessible, gratuit et programmé à la pause du midi, et son sujet – le patriarcat – concerne tout le monde, hommes et femmes. De plus, ce seul en scène, mené par le comédien Jérémy Dubois-Malkhior, est aussi drôle que le sujet est sérieux.
Durant cette performance, le comédien regarde et parle directement au public. Il interprète, raconte, se confie aussi. Tout cela dans une prestation autant gestuelle que textuelle. Jérémy Dubois-Malkhior sait jouer avec son corps pour mettre en avant sa parole. Dès le début, il explique : « On va préparer quelque chose tous ensemble. On va se réveiller et lui faire sa fête : le patriarcat a cinq siècles et nous vivons son effondrement. » Si le sujet est bien dans notre époque, il est traité avec un angle humoristique. La déclaration d’intention du comédien est ainsi faite sur la musique du générique de l’émission télé Champs-Élysées.
Puis l’interprète lance un blind test. Cela va permettre aux spectateurs de redécouvrir des chansons et cela va lui permettre, à lui, d’en décortiquer des bouts de paroles. Les titres sont ainsi diffusés et il les analyse : « Boule de flipper » de Corynne Charby, « J’aime regarder les filles » de Patrick Coutin, « Bonne meuf » d’Orelsan, « Bascule avec moi » de Marc Lavoine. A l’écoute de certains morceaux, les spectateurs rient. Le comédien danse, chante, fait les chorégraphies des clips. Il reprend aussi des extraits des paroles et les dit posément, pour que chacun comprenne bien le sens des textes. Notamment celles de « Daniela » du groupe Elmer Food Beat. Il mime les paroles. Il explique ensuite le morceau « Je veux te voir » de Yelle, qu’elle a écrit en réponse aux paroles machistes du groupe TTC et de son rappeur Cuizinier.
Sur « Où sont les femmes ? » de Patrick Juvet, Jérémy Dubois-Malkhior danse avec beaucoup d’entrain et la sueur commence à perler sur son front. Puis il s’insurge sur le « Zizi » de Francky Vincent, avec ce chœur de femmes qui fait « oui, oui, oui ». Il pointe les paroles pour les dénoncer. Pour le morceau « Spacer », il raconte l’histoire de Sheila et la folle rumeur lancé par un magazine, alors qu’elle avait 18 ans, qu’elle serait en fait… un homme. Le producteur de la chanteuse dira à l’époque : « Tant qu’on parle de toi, c’est le principal ! » Le blind test se termine sur cette anecdote malsaine. Le comédien donne à une spectatrice un foulard avec le visage de Sheila.
Après avoir dansé et sué, le comédien continue sa mise à nu. Il raconte maintenant une publicité télé pour la marque de jeans Levi’s. Cette publicité date de 1989. On y voit un homme en slip blanc. Le comédien commence alors un striptease. Il lance sa veste au sol, baisse son pantalon et se retrouve en slip blanc. Il raconte la publicité et tout ce que le spectateur intègre en la regardant : les images de la publicité et ce qu’elles représentent (le slip blanc notamment). Il parle aussi du frigo et de la motte de beurre qui est posée dedans. Cette motte de beurre renvoie au film « Le Dernier Tango à Paris » de Bernardo Bertolucci. Un film sur une histoire d’emprise entre un homme et une jeune femme, avec une scène de sodomie, simulée, mais très brutale de Marlon Brando sur une jeune actrice. Elle considérera cette scène comme un viol. Le comédien conclue en disant ironiquement : « Mais ce n’est que du cinéma ! »
Jérémy Dubois-Malkhior se met alors du beurre sur les mains, traverse le public sur fond de musique électro et fait des cadres avec ses mains comme un réalisateur de films. De retour devant le public, il évoque la chanson « Boys, boys, boys » de Sabrina, puis une publicité Royal Canin. Il parle maintenant avec un ton neutre, confident, comme si le spectacle était terminé. Il parle du poids du système qui pousse les hommes à ne pas vouloir arrêter leurs privilèges, à ne pas vouloir mettre fin au patriarcat. La voix s’accélère, le texte s’accélère, la musique techno redémarre et il reprend des éléments d’avant, parle des représentations et conclue : « Ce système nous baise, c’est un leurre, un programme politique ». La musique devient plus forte et le comédien mime des chorégraphies viriles : le guidon d’une moto, un fusil, des billets dans les mains, des muscles, une marche militaire.
La musique s’arrête : l’interprète reprend sa voix confidente, assis sur le rebord d’une chaise. Il parle maintenant de lui, de sa vie, de son père (« Il s’est fait avoir lui aussi »), de la virilité, du cancer de la prostate de son oncle et de son incapacité à bander (« Il faut bander pour être viril »). Il parle de la généalogie de chacun, de la domination masculine, de l’humiliation, des violences et du viol. Puis il dit : « Questionner la virilité, ce n’est pas viril ! » Malgré la salle, assez froide avec son écran blanc en fond, le comédien captive avec son discours et les spectateurs sont concentrés, à l’écoute.
Pour conclure le spectacle, le comédien suspend une banderole faite avec des slips, des caleçons, des vêtements de bébé, des culottes de petites filles. Sur la banderole, il y a écrit : « Nous sommes le passé obscur du monde, réinventons le présent. Passons à autre chose. » Dans cette scène finale, sur une musique stridente où se mélangent guitare et électro, Jérémy Dubois-Malkhior se met complètement nu, dos au public, puis enfile un peignoir en paillettes dorées. Et il danse encore. Ce seul en scène, cette performance au propos fort et bouleversant, tient beaucoup à la personnalité du comédien, à son implication, à sa gestuelle, à son corps.
Après le spectacle, le comédien vient discuter avec les quelques spectateurs. Il explique que le spectacle a été créé dans le off du Festival d’Avignon, qu’il fait une dizaine de représentations dans le cadre de Plaines d’été et que la pièce va être jouée dans des lycées. En précisant d’ailleurs que la playlist du blind test va être changée spécialement pour mieux toucher les lycéens.
Mathilde, 17 ans, en première année santé, était dans le public : « J’ai vu l’annonce sur les écrans de la Faculté et ce sujet me touche particulièrement. Beaucoup d’amis étudiants n’ont plus le temps pour la culture. C’est dommage, ils auraient dû venir. Emotionnellement, ce spectacle est fort. Le message est là et c’est intéressant. Les paroles de certaines chansons sont choquantes. Elles sont même honteuses et ces chansons devraient être bannies des ondes. Si elles parlent de violence, elles ne devraient plus être diffusées pour ne pas être mises en valeur. Ce spectacle sur un sujet fort est aussi un divertissement car on a bien ri. »
Chafika, 47 ans, responsable du service Vie de Campus de l’UFR3S, a, elle aussi, apprécié la représentation : « Je m’intéresse à la proposition culturelle dans l’université. Je suis déçue de la fréquentation mais ravie d’avoir vu ce spectacle. J’ai aimé l’énergie envoyée, les séquences qui se succèdent. La mise en scène est grandiose, sans décor. Le comédien nous embarque avec très peu de moyens. C’était un très bon moment, énergique, généreux. C’était fort. Le comédien nous bouscule, nous fait rire. On se questionne. Et son jeu est exceptionnel. Il y a une mise à nu des idées, du message. Et aussi sa mise à nu à lui, poétique. »
Enfin, il y avait également dans la salle Ludivine, 33 ans, bibliothécaire : « J’ai aimé ce qui était dénoncé et la progression en commençant par un jeu, ce blind test. C’était impactant comme spectacle. Le comédien questionne la virilité. Il est talentueux et sa prestation chorégraphique est fantastique. J’ai aimé son jeu. Ce spectacle est top ! »
Texte : Olivier Pernot
Photos © Olivier Pernot