En ce jeudi matin, du 9 décembre, la pluie de la veille a laissé çà et là quelques flaques dans la cour de l’école primaire de Tergnier. La cour de récréation est sans vie. Les enfants sont sagement assis dans leurs classes respectives et écoutent leur enseignant pour la leçon du jour. Un jour somme toute normal !
L’école Pasteur
Soudain, une parenthèse aussi inattendue qu’enchantée s’ouvre sur cette matinée bien tranquille au sein de l’école Pasteur. Par les grandes fenêtres de chaque classe qui surplombent la cour de récréation, les regards des enfants sont immédiatement attirés par de multiples couleurs qui évoluent à l’extérieur.
Six clownesses, qui, comme tombées du ciel, commencent à évoluer dans la cour alors que la cloche de la récréation n’a pas encore sonné.
Dans ce vaste espace, elles déambulent parfois ensemble, parfois séparément. Chacune dans son univers et parfois toutes dans le même. Certaines sautent à pieds joints dans les flaques d’autres jouent à la marelle.
Elles vont même jusqu’à improviser une parade. En quelques minutes, la magie opère. Les enfants se sont agglutinés au bord des fenêtres comme happés par ce moment enchanté et tellement désireux de rentrer dans le jeu.
– « Les clooooowns !!!!!!! » s’écrient tour à tour les enfants dans toutes les classes.
Les clownesses montent sur les rebords des fenêtres des classes du rez-de-chaussée.
Les enfants sont stupéfaits face à ce premier interdit transgressé mais aussitôt les rires prennent le dessus. Puis elles dessinent sur les vitres : « BONJOUR ! »
– « Madame, Madame, elles écrivent sur les carreaux » s’écrient les enfants à leur enseignante.
La transgression douce et progressive amène la joie de vivre.
– « Ouvrir à la liberté ! L’espace d’un instant, ensemble on peut vivre quelque chose d’extraordinaire… en sécurité ! S’autoriser à faire » expliquera Stéphanie, une des six clownesses de la Compagnie des Vagabondes.
L’enseignante ouvre la fenêtre d’une des classes comme pour laisser entrer le jeu !
Les clownesses pénètrent dans la classe non sans quelques acrobaties sous le rire des enfants.
– « Aujourd’hui, nous allons dessiner une vache ! » s’exclame la clowne Justine, devenue l’espace d’un instant maitresse d’école. Les clownesses Marie et Amélie sont quant à elles devenues élèves.
– « Waouuuu !!! SUUUUPEEER ! » s’écrient à tue-tête les enfants.
Entretemps, la clowne Anaïs se saisit de la corbeille à papier et de l’immense règle en bois de la maitresse. En l’espace de trois secondes nous basculons tous dans l’univers de la chevalerie.
Une chevalière sur le dos de son majestueux destrier entreprend des batailles et des conquêtes imaginaires sous les cris de joie des enfants. On rit à gorge déployée. On est transportés.
Ceux et celles qui sont en récréation dehors ne veulent pas en perdre une miette à travers la vitre.
On tape dans les mains. C’est la fête !
– « Nooooon , reveeeeeeneeeez » s’écrient les enfants. » « Mais maitresse pourquoi les clowns y sont venus ? » Un enfant à son voisin de table : « Je crois que je suis amoureux ».
C’est l’effervescence. Comme elles sont venues, elles repartiront sans tambour ni trompette mais avec beaucoup de douceur et de bienveillance. Elles croiseront dans l’escalier, un des enseignants qui sera aussitôt invité dans le jeu.
Le JEU ! Il ne retombe jamais. La clowne Amélie ouvre son parapluie comme pour faire résonner encore le rire des enfants et de leurs enseignants.
Ce chœur (cœur) de clownesses aurait pu s’arrêter là et quitter ses habits de lumières mais nous sommes jeudi. Et jeudi, c’est jour de marché sur la place Herment à Tergnier.
Le marché
– « 7,90 ! SVP Monsieur !… Merci ! Passez une belle journée ! »
– « Vous aurez de la lotte pour les fêtes ? »
– « Waouuu regardez, il y a des paparazzi. »
La frontière est mince entre l’interdit et ce qui est autorisé. Et c’est sur ce fil que dansent les clownesses lorsqu’elles entrent sur cette place.
La clowne Stéphanie monte sur une étale entre les laitues et les pommes de terre sous les yeux estomaqués de Frédérique la maraîchère. La magie encore une fois opère mais cette fois auprès des plus grands. Entre deux additions et une commande de poires accompagnée d’un kilo de courgettes, Frédérique guette le jeu qui vient d’entrer dans son monde du jeudi matin.
« Titi », un habitué du stand des fruits et légumes est venu acheter des endives comme chaque jeudi. Il se laisse offrir une feuille de batavia par la clowne Stéphanie. Les cinq autres clownesses entonnent un « Chabadabada…chabadabada ! » sur l’air du film Un homme et une femme de Claude Lelouche. Nous y sommes !
Et puis tout va très vite. « Titi » est aussitôt emporté dans une valse à mille temps par une des clownesses. Ses yeux brillent et un immense sourire l’envahit. Alors la valse prend un nouveau virage et se transforme en une ronde avec toutes les clownesses entre les légumes et la camionnette du poissonnier.
« Titi » saute, « Titi » danse, « Titi » rit.
L’univers de l’enfance refait surface et emmène sans résistance tous les adultes sur son passage.
Cela aurait pu être un marché comme tous les jeudis de décembre, humide et venteux mais un vent de douce folie et d’humanité est venu souffler sur le marché de la place Herment.
Jean-Luc, le maraîcher est lui aussi emporté par toute cette gaité et offre des clémentines aux chanteuses du jour. C’est déjà Noël !
Dans l’émulation du jeu, les interdits sont levés et on en vient même à demander le prénom de celle qu’on croise tous les jeudis.
– « C’est quoi ton prénom ? » demande une cliente à sa voisine.
– « Lili ! ».
On s’étreint, on partage tout simplement.
Les six clownesses montent à l’arrière du camion de Jean-Luc, entre bananes et potirons.
– « Salade de fruits, jolie, jolie… » entonnent les fées de ce jeudi matin, sous les yeux ravis des quelques badauds venus remplir leurs paniers.
Après avoir salué Frédérique et Jean-Luc, les six clownesses reprennent leur déambulation, telle une chenille aux multiples couleurs et aux pattes parfois un peu folles dans la ville de Tergnier !
Frédérique s’exclame : – « Oh ça va être vide maintenant sans elles ! ».
Le café
À la sortie de la place du marché, pas de destination programmée pour ce mille pattes.
Mais soudain, la vitrine de la façade du « Café de la Passerelle » les aimante et immédiatement un lien se tisse avec les personnes qui les observent depuis l’intérieur.
Pas le temps de faire OUF ! Que déjà une femme sort du café et « impulse » le jeu.
La magie opère à nouveau. Les six clownesses rentrent à l’intérieur. Un nouvel univers, une nouvelle aventure débute. Face à cette situation complètement décalée et accompagnée par les précieux codes des six clownesses, le champ de tous les possibles s’ouvre à nouveau et s’offre en partage.
Les yeux quittent alors les nouvelles du jour du journal local pour faire place à des lueurs d’étoiles. C’est au tour des langues de se délier. On sort de sa bulle et on fait joie commune avec les six clownesses. Des ailes ont poussé dans le dos des personnes à l’intérieur de ce café, qui quinze minutes auparavant avaient comme unique compagnon du moment, une tasse de café ou un verre.
– « Quand il me prend dans ses bras, je vois la vie en rose. Quand il me prend dans ses bras, il me dit des mots d’amour… » Le refrain de La vie en Rose résonne, se mêle à des récits de vie et vient rebondir sur les murs de l’intérieur du café pour finir en éclats de rire.
– « Ooooh je vous aime… Vous êtes belles ! C’est mieux qu’un Noël ! » s’exclame une femme qui s’est mise à danser et à chanter.
L’espace d’un instant, le temps s’est arrêté, les soucis et les problèmes sont restés dehors.
Tout semble possible dans cet univers parallèle, loin du tumulte de la vie.
Le centre social « Au fil de l’eau ».
Et puis c’est « Au fil de l’eau », que les six clownesses vont se se diriger, en début d’après-midi.
Atelier informatique et réalisation de courrier pour les personnes en recherche d’emploi.
– « Heureusement qu’on a des bouées, des personnes qui nous aident parce que sinon on brasse » dira Michel participant de l’atelier. En l’espace de quelques minutes, les clownesses ont créé le lien. Avec beaucoup d’humanité et de douceur, elles sont à l’écoute tout en restant dans le jeu. Aïcha, la responsable de l’atelier rentre elle aussi dans cet instant décalé et reçoit à bras ouverts cette parenthèse inattendue.
« Ce n’est pas un spectacle c’est une sorte de lâcher de clowns en milieu social, urbain, scolaire » dira Marie, l’une des clownesses de la Compagnie des Vagabondes.
Tout le jeu est dans l’improvisation et dans la rencontre. Que ce soit dans une école, sur la place d’un marché, dans un café, dans un centre social, les six clownesses se saisissent des lieux et de ce qu’ils contiennent pour « créer du lien ».
– « Aller à la rencontre des gens, là où ils vivent, là ils sont, dans un moment complètement décalé avec notre poésie, notre innocence, notre folie. L’important c’est de partir du réel pour le tirer vers autre chose » aimera à souligner Anaïs une des clownesses.
– « En théorie on vient donner aux gens mais au final lorsque s’arrête le jeu, j’ai ce sentiment très fort d’avoir immensément reçu » dira Justine, clowne elle aussi.
« Être à six c’est ambitieux mais c’est aussi très riche » précisera la clowne Justine. « Nous avons toutes une pratique du clown et nous avons souhaité nous rencontrer pour faire de nos différences une force basée sur des codes et un langage commun qui nous permettent d’aller dans des endroits différents sur un temps défini.
Les six clownesses colorent les lieux de vie, l’espace publique afin que tout un chacun s’accorde une pause, un moment d’évasion. Leur objectif : rencontrer l’autre, lui accorder du temps, le mettre en valeur, sublimer les différences.
L’incongru et l’inattendu deviennent normalité. Les frontières tombent pour faire rentrer la magie et offrir des temps de respiration dans le quotidien.
Que c’est bon ! On aurait aimé que cela ne s’arrête jamais, que cela dure toujours, ou du moins plus que le temps d’un impromptu.
Texte et photographie : Isabelle Serro
Que c’est beau, plein d’amour, d’humanité, de fantaisie, de plaisir partagé. Une remarquable initiative avec un magnifique reportage d’Isabelle qui sait nous transmettre toutes ces et ses émotions par l’image et le récit. Que ça fait du bien en ces temps de morosité, d’incertitudes, d’anxiété.
Une grand bol d’oxygène, MERCI.
Merci pour cette bouffée d’air, de joie, de tendresse !!
Les enfants, ne s’y trompent pas , et les « toujours jeunes » s’y collent et respirent un grand coup !
Que du Bonheur ! Merci !
Merci, merci, merci, les artistes … ces instants sont de pure poésie : ils atteignent nos cœurs, font briller nos yeux, nous redonnent le goût du rêve, de la magie, de l’enfance quoi !!! Expérience à renouveler autant de fois que nécessaire : une bonne dose d’immunité pour un avenir plus serein 😉
Bravo les filles 👍c’est exactement ce dont on a besoin a cette époque où tout est fait pour diviser les français…. Du lien 👌☺️meeerrciii!!
Merci infiniment pour ce partage de couleur, de gaieté, de fantaisie, d’attention à l’autre. Que ça fait du bien !!!
magnifique ! bravo les filles
Quel beau partage d’énergie, de poésie et de liberté ! Hâte de vous retrouver en 2022 !
Ah oui, des clownesses, tous les jours et partout, inopinément, comme cela, ça serait tellement différent ! L’occasion de se ressaisir de la joie de vivre et de recréer de la simplicité d’être en lien avec nos voisins. Merci pour le partage de cette initiative, sans l’avoir vécu, elle me parle beaucoup déjà !!
Super ! A partager avec tous ceux qui font des pauses (télétravail , café , entre 2 trajets , en attendant la fin de la dialyse ,ou en attendant un train qui ne vient pas