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Le poids des mots et la force des mouvements à Tourcoing

  • Nord

PLAINES D’ÉTÉÊtre dans la rue5 mai – Tourcoing

« Je suis comme plein de personnes dans mon quartier : je suis plein d’amertume. » Le mégaphone sert à amplifier la parole du danseur transformé en comédien à ce moment-là. Chaque prise de parole est un moment fort du spectacle, pour s’exprimer sur l’identité et les papiers, l’enfance et l’éducation, les parents, le travail, l’amour. Avec des phrases punchlines qui résonnent dans la tête : « J’ai passé des heures sur les bancs à regarder la vie passer ».

Pour Plaines d’été 2020, la compagnie Farid O. avait présenté des extraits de Step, un nouveau spectacle dans lequel se mélangeaient plusieurs danses (swing, jazz, hip-hop) avec des musiques rythmées et cuivrées, et des textes de l’écrivain James Baldwin. Reprogrammée pour Plaines d’été 2021, la troupe du chorégraphe Farid Ounchiouene plonge cette fois dans son répertoire avec la pièce Être dans la rue, datant de 2006. Après quelques dates l’année dernière, une nouvelle représentation était proposée le jeudi 5 mai à la salle culturelle du collège Lucie Aubrac à Tourcoing. Plusieurs structures participaient à l’organisation de l’événement : le Conseil citoyen de Tourcoing, l’Association des parents d’élèves du collège Lucie Aubrac, l’Association Sportive et Culturelle du Renouveau (ASCR) et le Centre social des trois quartiers.

© Olivier Pernot

Le spectacle Être dans la rue mêle des mots et des mouvements. Mouvements des corps, mouvements d’humeur, mouvements de révolte. Il a été créé dans la foulée des émeutes qui ont enflammé les banlieues en France en 2005. Sur scène, trois interprètes, deux hommes et une femme, marient la force de la danse hip-hop avec d’autres mouvements empruntés notamment au charleston. La puissance des corps représentent l’énergie et l’exaltation de la jeunesse des banlieues, tandis que le mégaphone permet de libérer ce désir d’expression, ce désir de compter dans la société. Les trois danseurs sont accompagnés par un musicien assis, jouant des accords de guitare cristallins ou lançant des séquences électroniques sur l’ordinateur posé à côté de lui. La musique, voyageuse, apporte des nuances à la puissance de la danse urbaine, qui met petit à petit les interprètes en sueur.

© Olivier Pernot

Parmi la quarantaine de spectateurs présents, il y a Djamila, 37 ans, qui habite dans le quartier du collège Lucie Aubrac. Elle est venue avec trois de ses enfants. « L’énergie de ce spectacle est très bonne. Je suis étonnement surprise et enchantée. Je me rappelle très bien des émeutes de 2005. A l’époque, j’habitais à côté de Lille-Sud et quelques années avant, il y avait eu un jeune tué par un policier dans ce quartier. Lille-Sud avait alors été à feu et à sang pendant plusieurs semaines après cette mort et après le procès du policier. Dès que j’ai vu l’annonce du spectacle, j’ai motivé les enfants pour venir le voir. Surtout que nous n’allons jamais voir de spectacles, et là, j’ai trouvé l’occasion ! »

Chacun des enfants de Djamila a perçu le spectacle à sa manière. Safa, 10 ans : « J’ai ressenti l’énergie des danseurs et les trois danseurs allaient bien ensemble. J’aime beaucoup la danse hip-hop et j’ai aimé aussi ce qui s’est dit dans le spectacle. » Daoud, 15 ans, est aussi enthousiaste : « Le spectacle est intéressant, à la fois pour ce que disaient les danseurs et aussi pour leurs chorégraphies. Mais j’ai quand même préféré la danse hip-hop ! » Marwa, 14 ans, a plus été touchée par les mots : « C’était bien comme spectacle. Bien pour les jeunes car ils voient comment est la vie dans les quartiers. Et cela s’exprimait bien aussi dans la danse même si je ne m’intéresse pas trop à la danse hip-hop. J’ai tout aimé quand même. Il y avait de l’émotion à parler de l’expérience dans les quartiers. »

José, 75 ans, et sa compagne, Myriam, 74 ans, sont des habitués des salles de spectacles et de cinéma. Ils sont conquis par l’impromptu de la compagnie Farid O. « Ce spectacle était magnifique, dans la façon de s’exprimer, avec les mots ou avec la danse », commente José. Myriam rapproche la pièce de leur action au quotidien : « Nous travaillons avec des associations dans la ZUP de Tourcoing pour aider certaines personnes à se sortir de différentes problématiques. Ce spectacle exprime un peu la même chose : comment s’en sortir ?. Dans le spectacle, cela se passe avec toute l’énergie du corps et la force des mots. J’ai été portée par la danse. Le message et les mouvements qu’on a vu me bouleversent. Tout cela est exprimé avec une telle force, une telle fougue, une telle souplesse. »

© Olivier Pernot

Le spectacle Être dans la rue a été inspiré par le livre Pays de malheur ! : un jeune de cité écrit à un sociologue de Younes Amrani et Stéphane Beaud. Ce document parle des espoirs et des révoltes d’un jeune des quartiers populaires. La création du chorégraphe Farid Ounchiouene porte un questionnement qui traverse le livre et se conclut donc par cette interrogation : « Je veux simplement comprendre comment on en est arrivé là ! ».

Après les saluts des trois danseurs et du musicien, Farid Ounchiouene rejoint les interprètes de son spectacle pour discuter avec le public présent. Le chorégraphe raconte ses motivations à créer cette pièce et parle aussi de l’accueil qu’elle a reçue partout où elle a été jouée depuis 2006. Notamment dans des cités, « au pied des tours ». Il parle de l’émotion reçue en direct de la part des spectateurs et souvent des débats engagés avec les habitants sur les problématiques et la souffrance dans les quartiers. Puis, il conclut, avec fatalisme : « Je pense que pas grand-chose n’a changé ! »


Texte : Olivier Pernot

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