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La poésie pour tenir debout

  • Oise

Ce dimanche 10 juillet, couples, familles, amis et enfants se pressent sous le chapiteau jaune, installé sur la place du village de Fréniches. 347 habitants seulement, mais fort d’une association, Yapluk’a, qui promeut la culture en milieu rural et a mis sur pied un tiers-lieu au cœur de la commune. Ce week-end, elle organise le festival Les mots en l’air où joue notamment la compagnie Les yeux fermés. Il n’est pas loin d’11h30 et le mégaphone a prévenu : le spectacle va bientôt commencer.

Alors que tout le monde a pris place sur les gradins, un drôle de personnage tente de faire son entrée sous le chapiteau. Il tente, parce que ce forain et bonimenteur répondant au nom de Cartouche, est chargé. Il tire, pousse, bref, essaie comme il le peut d’amener au centre de la piste une boite carrée qui semble bien remplie. Effectivement, une fois arrivé à destination, Cartouche prévient le public : « Mesdames et messieurs et les enfants, je suis fier de vous présenter, Carpette, l’automate à poèmes » Et là : rien. Pas un bruit, pas un son, la boîte semble inanimée. Alors rebelote, « Mesdames et messieurs et les enfants, je suis fier de vous présenter, Carpette, l’automate à poèmes ». Pas plus de réaction.

Cartouche cherche le soutien du public, qu’il obtient dans la seconde. Mais voilà que s’échappe d’un côté de la boite des papiers colorés dont un sur lequel il est griffonné : « en grève ». L’automate à poèmes a l’air revêche. C’est sans compter sur la ténacité du forain, qui arrive, non sans mal, à faire sortir de sa boite Carpette. Seul hic : Carpette est bien au sol, allongée confortablement. Sauf que Cartouche aimerait qu’elle déclame sa poésie debout. « Verticale » comme il dit, en détachant toutes les syllabes, reprises en chœur par le public, conquis.

© Clémence Leleu

La suite, on ne va pas la raconter, si jamais vous souhaitez aller voir le spectacle. Le seul indice que l’on peut glisser, c’est que Carpette déclamera bien sa poésie. Et finira par ce vers dont le nom du spectacle est tiré : « Le monde est si vaste, qu’il paraît impossible de tourner en rond. Mais pourtant le temps passe et toujours résonnent les canons. Soyons sans sagesse, sachons renverser les souverains qui nous sermonnent avec bassesse. »

Derrière Cartouche et Carpette, il y a Yannick Boulanger et Claire Delafolie, ravis de l’accueil que leur a réservé le public de Fréniches. « Ça fait très plaisir d’avoir autant de public à cette heure-là un dimanche. Ils sont tout de suite partis avec nous ! », raconte Yannick, qui se décrit comme un couteau suisse du spectacle vivant. « Le public est très accueillant, très réceptif. Au début, je suis dans la boîte et je sens direct si ça va marcher », abonde Claire.

Et effectivement, interrogé à la fin du spectacle, tout le monde semble ravi. C’est bien simple, Méline, 10 ans, a « tout aimé » : « C’était génial, surtout quand il a commencé à jongler et quand la fille est sortie de la boîte ! » Kylian, lui, rit encore lorsqu’il se remémore ces nombreux moments où « le monsieur essayait de la remettre debout mais elle retombait tout de suite quand elle faisait ses acrobaties. » Pour Mélina, 6 ans et demi, c’était son premier spectacle ici, « ça m’a fait rire » glisse-t-elle, avant qu’Océane, 4 ans, debout à côté d’elle, ne rajoute qu’elle, ce qui lui a plu, « c’est les dessins sur le visage de la fille. »

Côté adulte, c’est aussi le carton plein. « C’est super ! L’ambiance, le chapiteau, c’est convivial. Et puis c’est chez nous, à la campagne. On n’est pas obligé d’aller dans les grandes villes », confie Christelle. « On ne nous oublie pas au moins », poursuit Martine, « on nous oublie déjà suffisamment avec les déserts médicaux, les services publics qui ferment. Là, on pense à nous. »

Faire des spectacles là où il n’y en a pas, loin des grandes villes ou des salles de spectacles, c’est dans l’ADN de la compagnie Les Yeux fermés. « Les gens qui vivent à la campagne ou dans les tours HLM n’ont pas forcément les mêmes codes que ceux qui vont au spectacle toutes les semaines », raconte Yannick. « Ce sont d’autres émotions qui se créent, ça permet de ne pas figer un spectacle. Il a sa partition, mais on peut l’ajuster en fonction de la réaction des gens. »

Le monde est si vaste (qu’il paraît impossible de tourner en rond) mêle donc poésie, contorsion, jonglerie et équilibre. « C’est la force du cirque : dire des trucs avec les mots et avec le corps », estime Claire, qui signe les poèmes déclamés pendant le spectacle. « Le cirque et la poésie, ça apporte du détachement. C’est le réel, on s’appuie sur les vies mais on y ajoute une autre dimension. Ça crée des sentiments chez les gens. »

© Clémence Leleu

À la fin de l’interview, on ne résiste pas à poser à la contorsionniste une question qui nous a été soufflée par Sacha, 6 ans : « Mais pourquoi elle n’arrive pas à tenir debout ? » Claire y répond instantanément : « parce que la vie est dure et qu’on n’y arrive pas toujours » Il y a une suite dans sa réponse, mais si on vous la donne, on livre une partie du spectacle. Alors pour savoir si et comment Carpette, l’automate à poèmes arrive à se tenir « verticale », il vous faudra aller voir le spectacle !

Les prochaines dates pour juillet :

Le 19 juillet à Nogent-sur-Oise, le 21 à Villers-Cotterêts, le 22 à Noyon, le 26 à Creil et 31  à Montataire.

Textes et photos : Clémence Leleu

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