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La poésie humaniste d’Anne Sylvestre résonne à Thivencelle

  • Nord

Le décès d’Anne Sylvestre, le 30 novembre 2020, a laissé un grand vide chez les fans de cette figure singulière de la chanson française. Alors que la France était en plein confinement à ce moment-là, la metteure en scène et comédienne Marie Fortuit, de la compagnie Les Louves à Minuit, décide de concevoir un spectacle autour de « Madame Anne ». Elle s’inspire de la chanson « Dans la vie en vrai » pour écrire l’impromptu « La Vie en vrai, sur la route avec Anne Sylvestre ». « Le titre de cette chanson a résonné en moi dans ce désir de retrouver le public en vrai », précise Marie Fortuit, qui, avec ce nouveau confinement, est à l’arrêt comme tous les artistes. La première de cette proposition a enfin eu lieu le mardi 2 novembre à Thivencelle, dans la salle des fêtes de ce petit village du Valenciennois. Alors que Marie Fortuit semble dormir paisiblement, la tête posée sur ses bras, le musicien Damien Groleau rentre dans l’espace scénique et allume un vieux poste radio.

© Olivier Pernot

Dans cette émission de France Culture que diffuse la radio, la chanteuse Michèle Bernard parle d’Anne Sylvestre, son amie de longue date, qui est décédée il y a quelques jours. Beaucoup d’émotion et de révolte ressortent de ses propos. Puis Marie Fortuit se réveille, attrape sa petite guitare et rejoint le micro pour interpréter une première chanson. Damien Groleau s’est, entretemps, assis derrière un imposant clavier. Dès le premier morceau de ce tour de chant, le public est projeté dans les mots et dans l’univers d’Anne Sylvestre. La petite trentaine de spectateurs se plonge complètement dans le spectacle, oubliant le froid qui règne dans cette grande salle carrelée. La compagnie Les Louves à Minuit a installé l’endroit avec des lumières chaudes et ce petit bureau où trônent quelques publications, une bougie et le vieux poste radio. « Nous avons un matériel léger pour aller partout et pouvoir installer ce spectacle », indique Marie Fortuit. « Nous voulons être comme dans le grenier d’un théâtre ».

© Olivier Pernot

Pour ce récital, la comédienne a sélectionné dix chansons sur un répertoire de trois cents morceaux d’Anne Sylvestre. « Ce n’est pas un spectacle hommage », explique Marie Fortuit. « J’avais plus envie de redonner sa dimension contemporaine à Anne Sylvestre. J’ai donc écrit des textes, qui se glissent entre les chansons, pour donner un fil rouge. » Durant ses intermèdes, elle raconte la vie d’Anne Sylvestre, développe ses idées et ses valeurs, sur le féminisme, l’avortement, le viol, etc. « Des valeurs simples et solides » qu’Anne Sylvestre a abordées dans sa poésie et qui prouvent qu’« elle était moderne avant l’heure ». Dans cet impromptu, la comédienne confronte également ces thématiques à son histoire personnelle, à ses déceptions, à ses craintes quand elle était collégienne. Cet impromptu est une adaptation à deux – chant / guitare et piano – d’un spectacle qui peut se déployer aussi en version plus large avec une seconde chanteuse, Mélanie Charreton. Comme mi-septembre au Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté.

© Olivier Pernot

Parmi la trentaine de spectateurs présents, il y a Cathy, 47 ans, venue du village voisin de Crespin : « J’ai ressenti beaucoup d’émotions dans ce spectacle. La chanteuse était à fleur de peau. C’était un spectacle très fort et très émouvant. Nous ressentions l’engagement d’Anne Sylvestre. Notamment son engagement féministe. J’ai apprécié aussi les temps doux entre les chansons quand elle s’adressait à nous. Et nous comprenions bien comme ça le personnage d’Anne Sylvestre. Bien sûr, il y a les textes poétiques d’Anne Sylvestre. Je ne la connaissais pas du tout et j’ai envie de réécouter des chansons d’elle. » Cathy est venue avec son compagnon, Willy, 50 ans : « Nous n’allons pas voir beaucoup de spectacles. Un par an au maximum. Nous ne prenons pas le temps de nous y intéresser… Mais là, le fait que ce soit à notre porte, alors nous sommes venus. » Agent de maitrise à l’aciérie Ascoval, Willy a aimé que ce spectacle, un mardi soir, lui permette de faire une coupure pendant sa semaine de travail. « Le spectacle m’a plu. Même si c’est très éloigné de mon univers de biker : je roule en Harley et j’écoute du rock ! Avec Anne Sylvestre, je découvre des chansons magnifiques, apaisantes Et, en plus, ce spectacle est gratuit. » Puis il rajoute, plein d’enthousiasme : « Mais même si le prochain spectacle est payant, je reviendrai ! »

Pendant l’impromptu, Marie Fortuit lit un long extrait du livre « Le Complexe de la sorcière » d’Isabelle Sorente pour faire le lien avec la chanson « Une sorcière comme les autres ». Elle raconte parfois l’origine et l’histoire des chansons, comme pour « Le Pont du Nord ». Elle montre aussi une pochette d’un vinyle et rallume la radio pour écouter une interview d’Anne Sylvestre. Ces deux derniers moments, où l’on voit son visage, où l’on entend sa voix, donnent du corps et de la présence à Anne Sylvestre. Dans l’extrait d’interview diffusé, « Madame Anne » évoque les chemins de traverse qu’elle emprunte et dit aussi, avec fermeté : « Je suis agressive parce que j’ai de la dignité ! ». Ces intermèdes renforcent la puissance des textes et la poésie des chansons que Marie Fortuit interprète avec beaucoup d’intensité, les yeux fermés, les poings serrés. L’accompagnement doux et léger que Damien Groleau signe au piano donne du relief aux chansons qui captent complètement les spectateurs. Ils sont happés par la jeune femme qui offre ces textes poétiques avec force, magnétisme et réalisme.

© Olivier Pernot

Autre spectatrice de cet impromptu, Sandrine, 40 ans, qui est venue de Quarouble avec ses deux fils, Pierre, 13 ans, et Baptiste, 11 ans. Elle a passé un excellent moment : « Ce spectacle m’a touché dès le début. Quand j’ai vu la chanteuse vivre intensément ses chansons. Elle arrive à retranscrire plein d’émotions : la tristesse, la colère, la peur. J’aime bien ce genre de spectacle et je me suis laissé guider… Mais j’ai eu un peu peur que mes garçons s’ennuient… » Pierre reprend :

« D’habitude, je m’ennuie à ce genre de spectacle. Là, j’ai bien aimé. La chanteuse avait des émotions qui sortaient, avec des larmes dans les yeux. Ma prof de français m’avait parlé d’Anne Sylvestre mais je ne connaissais pas du tout ses chansons. J’écoute plutôt du rap, des rappeurs comme Niska ou Ninh. Je n’écouterais pas de la musique comme ça, comme Anne Sylvestre, même si les chansons sont belles. »

Pierre

Baptiste écoute aussi du rap (XXXTentacion et Caballero). Il tempère : « Je n’ai pas été touché par ses chansons. Je n’aime pas trop son univers. » Mais il déclare aussi «  Je ne me suis pas ennuyé. Finalement, j’étais content de découvrir quand même Anne Sylvestre. »

José Dubrulle, 65 ans, le maire de Thivencelle, est satisfait de cette soirée : « Nous accueillons trois à quatre spectacles par an et nous apprécions beaucoup cela dans notre village de 850 habitants. Je m’attendais à un peu plus de monde, mais c’est dur de faire bouger les gens le soir, alors qu’il fait déjà nuit. Mais c’est bien quand même d’avoir eu une trentaine de personnes. » Marie Fortuit, elle, est conquise par la première de son spectacle :

« C’était puissant comme première date ! Nous étions tout prêt du public, à seulement deux mètres, et ce public était très attentif. C’était émouvant car j’ai senti qu’il y avait une vraie rencontre entre ces spectateurs et l’univers d’Anne Sylvestre. Je suis très heureuse de cette première. Et c’est vrai que les chansons procurent beaucoup d’émotions… et que j’avais les yeux humides. »

Marie Fortuit

Texte et photos par Olivier Pernot

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