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Une cabane à l’hôpital

  • Danse, Nord

Ce jeudi 11 septembre 2025, à 11h, un impromptu artistique mené par la compagnie Cabane est venu troubler délicatement la routine des résidents du Centre médico-social de Bailleul. Quatre danseurs, dont le chorégraphe Lionel Bègue, investissent le réfectoire pour une pièce intitulée Cabane, inspirée de son enfance et de sa fratrie…

Prévu à 11h, le spectacle commence quelques minutes passées. Il fallait accompagner chacun, descendre doucement des étages où se trouvent les chambres, arranger un vêtement, rassurer. Peu à peu, une vingtaine de résidents s’installent. Les chaises ont été disposées face à « la scène », des espaces sont laissés libres pour les fauteuils roulants. Le personnel de la cantine attend aussi, chuchotant. Sur la table : les couverts, les verres, les assiettes. Sur une desserte à roulettes : le pain dans des corbeilles à côté d’un reste de café froid, vestiges de la préparation ou de l’arrivée des artistes quelques heures plus tôt. Sur le sol : des feuilles en tissu, seul décor, seul indice d’un ailleurs poétique.

Dans une petite pièce attenante au réfectoire, les danseurs se préparent. Silence, corps qui s’échauffent discrètement, regards fuyants vers la porte. Tout est prêt, tout est calme. Le public est enfin là, attentif, patient.

Cabane : un chemin entre jeu, fraternité et tendresse

Quand les quatre danseurs sortent, leur présence transforme l’espace. Les corps s’élancent, se repoussent, s’attirent, s’emmêlent. Le spectacle dure une vingtaine de minutes, dense, énergique. Inspiré par la mémoire personnelle du chorégraphe, né dans une fratrie de quatre garçons, Cabane explore les jeux entre frères, la construction des masculinités, non comme une forteresse, mais comme une construction mouvante, fragile parfois, pleine d’interstices et surtout, la tendresse, l’amour fraternel, la chamaillerie et la camaraderie.

Un public sensible

Les visages des résidents racontent autant que les danseurs. Marceau, septuagénaire aux yeux d’enfant, applaudit à plusieurs reprises, s’illumine, s’exclame : « Quelle prestation ! Quelle prestation !» Ses yeux brillent. L’émotion jaillit de lui, palpable.

À la fin de la pièce, il prend la parole. Selon lui, trois thèmes se sont succédés : « L’appel de la forêt » ; puis une deuxième partie « plus complexe, où chacun avait un rôle bien défini » ; et enfin « la bagarre de rue ».

Une dame intervient à son tour : « Mais il n’y avait pas que de la bagarre quand même. Il y a un passage qui m’a beaucoup plu, qui parle de liens, de tendresse, de relations humaines. » Un danseur répond aussitôt, sourire aux lèvres : « Oui, effectivement, il n’y a pas que de la chamaillerie. Il y a aussi tout un passage où on parle de tendresse. »

La discussion se poursuit. On demande aux danseurs, Steven Hervouet, Baptiste Ménard, Lionel Bègue et Joan Vercoutere, si jouer ici, dans ce réfectoire, change quelque chose par rapport à un théâtre. Tous acquiescent. « Oui, c’est très différent, confie l’un d’eux. Ici, on voit les visages, on entend aussi les réactions. Dans un théâtre, avec les lumières, on ne voit pas le public. »

Et d’ajouter : « Aujourd’hui, le public était très attentif, très concentré. Mais hier, à l’école, les enfants réagissaient en direct : ils s’exclamaient, commentaient à voix haute, parfois même pendant qu’on dansait. C’était une autre énergie, très particulière. »

Évidence pour les danseurs : l’espace change la réception, et chaque public, chaque décor, donnent à la pièce une couleur différente.

« J’ai vraiment été touché, et même surpris, par le nombre de fois où les gens nous ont remerciés d’être venus jusqu’à eux. Ce retour, c’est précieux. », confie le chorégraphe à la fin de la pièce.

Cette tournée avait pour lui une résonance particulière, puisqu’il dansait lui-même, en remplacement d’un danseur en congé paternité. Mais elle lui a aussi permis de mesurer le chemin parcouru depuis sa première participation à Plaines d’Été en 2022 :

« Avec le duo Floating wood, on était arrivés dans des lieux où les gens ne nous attendaient tellement pas qu’ils avaient du mal à s’arrêter. Cette fois-ci, j’ai pris le temps de préparer, avec des relais institutionnels. Résultat : le public était là, prêt à recevoir. »

Enfin, Plaines d’Été lui a offert l’occasion d’oser un geste artistique attendu depuis longtemps : « La Cabane existe en version longue, jouée plus de 80 fois en théâtre. On me demandait souvent une forme courte, mais je n’avais jamais trouvé le contexte pour la créer. Le cahier des charges de Plaines d’Été m’a permis de le faire. Et les retours ont été très positifs.»

« Une petite bulle »

« Je me suis retrouvé transporté à Brooklyn, à Manhattan, partage Marceau avant de rejoindre sa table pour déjeuner. J’ai voyagé dans l’Amérique des années 50. Ça m’a fait beaucoup de bien, ça m’a mis du baume au cœur. »

Virginie Fauvergue, animatrice et référente culture du centre Claire Séjour acquiesce : « c’est une bulle dans le parcours de soins, c’est important de pouvoir découvrir de nouvelles choses, de s’évader. »

Cet impromptu n’est pas qu’un spectacle : il est acte de lien. Il rappelle combien le geste artistique peut incarner douceur, mémoire, résonance. Il montre aussi l’importance d’amener la danse là où l’on ne l’attend pas, un réfectoire, un centre de soins, pour toucher au plus près de l’humain.

Texte et photos : Sidonie Hadoux

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