« Pourquoi ne pas le faire à la ferme ? » a lancé Sabine, chevrière et fromagère de la Ferme du petit Quenneval, à Wirwignes. Ainsi, aussi simplement, après vérification de la faisabilité de la chose, les chevrettes ont accueilli, samedi 5 juillet, sous leur toit, une pièce de théâtre. Il s’agissait de Noue, par la compagnie Club·e Sensible. Ou, plus exactement, une adaptation pour correspondre au format choisi pour la programmation des Plaines d’été, soutenue par la DRAC Hauts-de-France.




Installés sur de la paille, le public pu suivre des histoires d’amitiés féminines interprétées, ce soir-là, par Nelly Pulicani. En effet, sur d’autres dates, elle alterne avec Marie Filippi, qui relatent d’autres récits. Un moment atypique, chaleureux, parfois agrémenté de quelques « béée » rafraîchissants. Une planche jonchée de photographies et une chaise pour décor, une lampe-néon verticale pour éclairage, une très discrète musique d’ambiance. Point n’en fallait davantage à Nelly Pulicani pour embarquer le public avec intensité au fil de ces neuf interprétations différentes.




Pour la conception de cette performance, comme l’a expliqué la comédienne Nelly Pulicani en préambule, Carine Goron, metteuse en scène et directrice artistique, a recueilli, pendant quatre années, le témoignage de près d’une centaine de femmes. Les femmes trans n’ont pas été exclues, au contraire, ainsi que, plus largement, les personnes se disant être femmes. Carine Goron leur a demandé de leur parler d’une histoire d’amitié avec une autre femme. Elle a fait des enregistrements audio parmi lesquels elle a fait une sélection. Ensuite, les comédiennes les ont bien sûr entendus mais ne l’ont pas appris par cœur, comme d’ordinaire. Au lieu de cela, pendant la performance, les comédiennes sont appareillées d’un lecteur et d’un casque. Elles retransmettent et incarnent le personnage et son histoire en direct. « Comme ça, nous avons toujours la surprise de leur timbre de voix, explique Nelly Pulicani. Nous essayons de toujours être au plus proche d’elles. Nous n’apprenons pas par cœur une transcription pour ne pas qu’elles disparaissent. C’est nous, en tant qu’actrices, qui disparaissons derrière elles, par décence. Ces personnes nous ont livré une partie de leur vie. La plupart sont venues voir le spectacle. Nous sommes heureuses de nous produire dans un endroit où il n’y a pas de théâtre d’habitude. D’être au plus près du public. C’est aussi comme un avant-goût de la grande forme. Les gens peuvent ensuite suivre notre travail, s’ils le souhaitent. »








Lorsqu’elle a pensé cette forme originale, Carine Goron a été guidée par l’envie de donner à voir une femme parler de façon très intime par les interstices de la comédienne. « Elle voit, elle parle, elle pense différemment, explique-t-elle. C’est mettre en scène l’écoute et non un texte écrit. »



« C’était très chouette, a exprimé tout sourire Evelyne, 60 ans. Les actrices avaient du talent pour transmettre ces histoires. Elles abordent plusieurs aspects de l’amitié entre les femmes. Jusqu’à la jalousie entre deux sœurs. Seul bémol, on aurait aimé que ça dure plus longtemps. Je me suis dit, aussi, qu’il fallait que j’en profite pour faire une accolade à mon amie. » Celle-ci étaient aussi venue voir le spectacle. « J’ai beaucoup d’amies femmes. Je me suis dit : soignons ces amitiés ! Il y a deux, trois amies que je vais appeler demain. »
Pour Annie, 74 ans, la performance a ravivé le souvenir d’une histoire douloureuse. « Avec ma plus vieille amie. Une histoire de 60 ans ! Nous étions étudiantes ensemble. Nous étions très amies et puis, elle est devenue ma patronne. Un jour, elle s’est déversée. Elle m’a dit tout ce qu’elle me reprochait depuis toujours et que j’ignorais. Et tout ça devant les collègues. J’ai zappé cette histoire de moi. Et là, ce soir, c’est remonté. »



« C’était magnifique, a soufflé Éric, 61 ans. Je suis déjà allé les voir hier. C’était avec l’autre comédienne. Il y avait d’autres témoignages. J’espère qu’il y en aura encore d’autres. »
La soirée s’est soldée autour d’une table auberge espagnole où spectateur·rices, comédiennes et biquettes ont pu échanger nourriture et émotions.
Texte et photos : Gaëlle Martin