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Quand le goudron accouche d’une forêt

Le village de Louvencourt était en fête, samedi 28 juin. Structures gonflables pour petit·es et grand·es, stand de maquillage et, bien évidement, buvette. Comme dans toute zone dite civilisée, le goudron s’est très largement répandu, asphyxiant toute chance de respirer par une chaude journée d’été. Heureusement, de ci, de là, à travers une fissure, on peut observer la poussée d’une brindille, d’une herbe spontanée, d’un espoir. La terre n’est pas morte. Simplement recouverte d’une couche inerte.

« Là ! Oh et là !» s’écrient avec emphase deux dames. Vêtues de matières nobles de couleurs vertes et marron, elles ressemblent à des fées aventurières. Sur des petits chariots reliés les uns aux autres, elles transportent des trucs, des machins et des bidules. « Haan ! Là ! » Une fois avoir choisi l’endroit parfait pour leur ouvrage, elles s’installent. L’une d’elle, nommée Peel, s’assoie sur une caisse en bois et dispose devant elle une bassine singulière et la remplie d’eau. Peel y plonge les mains, puis les pose sur les poignées. Très vite, au grès de ses mouvements de va et viens, des sons chantent la magie de l’éternité. L’eau, ainsi en vibration, ondule puis crée d’incroyables motifs sous les yeux ébahis des habitant·es du village qui ont eu la curiosité assumée de s’approcher. La voix de Peel s’élance dans les airs. Son chant est celui de le vie, des femmes, de la terre.

L’autre dame, Bloom, est affairée à arroser un chemin sinueux sur le goudron. Puis, elle dispose de la terre, de la mousse, des racines, des bouts d’écorces. Mais aussi des tuiles et des plaques de fer de tailles différentes. Le goudron symboliquement ramené à la vie devient symphonie sous les baguettes de la fée musicienne. Les oiseaux reviennent et chantent entre les lèvres des spectacteur·rices invité·es à participer à la partition du Grand Tout.

Les habitant·es, au début timides, se sont laissé·es cueillir et ne se sont pas fait prier pour essayer tous les instruments mis à leur disposition. Bien sûr, nombreux·ses ont été celle·ux à ne pas comprendre ce qu’il se déroulait, ce jour-là. Les dames de la chorale du village voisin, pourtant certainement désireuses que leur tour de chant soit considéré avec respect, ont traversé l’espace scénique sans égard pour les comédiennes pendant la représentation.

De la même manière, tranquillement, le goudron poursuit son grand recouvrement. Mais, en ce samedi de fête, à Louvencourt, comme dans les nombreux endroits où Bloom, alias Delphine Sekulak, et Peel, Laure Chailloux, du collectif Métalu À Chahuter, ont mis en œuvre leur vert envoûtement intitulé La Faille, il est à espérer que des graines auront trouvé terrain fertile dans l’esprit de quelques un·es.

« Pour penser ce spectacle, nous sommes parties du vivant, exprime Delphine Sekulak. Je suis également scénographe. Le végétale est la matière que j’utilise le plus. Et de plus en plus. »

« Nous voulions inviter à regarder dans les failles du goudron, pour aller vers la terre, poursuit Laure Chailloux. À la sortie des égouts, ça pousse bien en général, car il y a de l’eau. Le goudron, il est omniprésent. Mais en dessous, il y a de de la terre. On recouvre tout. On lisse tout. C’est devenu la norme. » Malheur à celui qui est différent. « Ce spectacle est aussi une métaphore pour dire que quand on est hors-normes, de l’eau et de la beauté arrivent. Mais on ne le dit pas au public. On a choisi de rester dans le merveilleux et le mystère. À la fin, le public comprend. Nous laissons les personnes imaginer. »

Pour leur décor et leurs accessoires, les comédiennes n’ont rien acheté à part les sifflets oiseaux en tête cuite. « Nous faisons de petites récoltes dans la nature sans abîmer. On récupère, on entretient, on humidifie. Nous voulions aller jusqu’au bout de l’idée. »

La venue de ce spectacle, soutenue par la DRAC Hauts-de-France dans le cadre de la programmation des Plaines Villages, était orchestrée par la mairie et l’association du comité des fêtes. Angélique Crapoulet, la dynamique présidente était très heureuse de pouvoir apporter quelque chose de différent aux Louvencourtois·es. « C’est génial ce dispositif ! C’était certainement une découverte pour beaucoup de gens. Ici, ils ne sont pas forcément adeptes de spectacles de rue. »

Texte et photos : Gaëlle Martin

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