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Poésie à la volée sur le marché de Carvin

Samedi, c’est jour de marché à Carvin. Le duo de la Compagnie Des Ils et des Elles avec Céline Hilbich et Olivier Nikolcic profite de cette matinée-là pour venir présenter sa proposition « Attendeur Public ». En milieu de matinée, ils étaient sur le marché de Dourges et arrivent tout juste à celui de Carvin avant que les marchants remballent leurs étals. Pas de décor à monter, pas de lumières ou de sonorisation à régler, cet impromptu peut démarrer sur le champ. Il tient autour de la personnalité et de l’énergie du duo, avec chacun son rôle : Céline Hilbich lit et interprète un texte poétique pour un client du marché pendant qu’Olivier Nikolcic, « l’attendeur public », se glisse dans la file pour patienter à la place de la personne qui écoute ce texte.

© Olivier Pernot

Céline Hilbich explique d’où vient cette idée d’attendeur public : « Avec la compagnie Stelistô De Tempo, dont nous sommes directeurs artistiques Olivier et moi, nous avons organisé de 2018 à 2020 le festival de poésie Ici ou là. Ce festival avait lieu à Lille dans les quartiers Fives et Saint-Maurice Pellevoisin. L’idée était de donner à entendre des poèmes d’une manière différente de l’école, pour désacraliser la poésie. On faisait donc des irruptions poétiques en pleine rue, on mettait des contraventions poétiques sur les pare-brises des voitures, on cachait des poésies dans les magasins. On faisait aussi des interventions de l’attendeur public. Les impromptus pour Plaines d’été sont réalisés aujourd’hui dans cet esprit-là, à l’invitation de la compagnie Des Ils et des Elles. »

© Olivier Pernot

Samedi 16 octobre, le marché bat son plein à Carvin. La place Jean Jaurès est remplie d’étals et de marchands. L’ambiance est chaleureuse, les passants virevoltent entre les stands. Céline Hilbich et Olivier Nikolcic se postent à côté de la rôtisserie mais la file d’attente est trop mince. Ils repèrent alors une boucherie où la file est plus conséquente. Olivier Nikolcic arrive avec son plus beau sourire et commence à solliciter les clients. Un monsieur hésite, puis finalement décline l’invitation. Proposer d’écouter un poème sur un marché ? Quelle étrange idée ! Et puis que quelqu’un attende à votre place dans la file de la boucherie… Ce n’est pas courant ! Une première dame semble intéressée, c’est Chrystelle, 57 ans, une habitante de Carvin. « J’ai une âme de poète », dit-elle et elle accepte la proposition.

© Olivier Pernot

A quelques mètres de la file de la boucherie où Olivier Nikolcic l’a remplacée, Chrystelle parcourt la liste des poèmes que lui tend Céline Hilbich. La conteuse explique comment elle a constitué cette liste : « J’ai choisi des poèmes que j’aime beaucoup et qui me semble important à partager. Il y a des textes de poètes que je dirais « classiques » comme Edmond Rostand, Théophile Gautier ou Walt Whitman. Des auteurs plus contemporains comme Jean-Pierre Siméon, Pierre Soletti, Joséphine Bacon et Laure Morali ou encore Abdellatif Lâabi. » La liste comprend aussi des textes de chanteurs ou de musiciens (Boris Vian, Anne Sylvestre, John Coltrane, Casey), des récits (Pierre Desproges, Hubert Koundé), un poème en argot de Jehan Rictus, etc. L’attendeur public, Olivier Nikolcic, également poète, a glissé également trois de ses écrits dans la sélection. « Cette liste comprend une grande variété de poésies pour montrer que la poésie est universelle, intemporelle. Ce qui réunit tous ces textes, c’est l’engagement de leurs auteurs. Ce sont des textes qui peuvent toucher aujourd’hui. »

© Olivier Pernot

Chrystelle parcourt donc la liste rapidement et se fixe sur « Y’a du soleil » de Boris Vian. Céline Hilbich se lance alors, d’une voix volontaire, pleine d’images et d’émotions. A la fin du poème, Chrystelle sourit et commente : « Vous avez une très bonne diction ! ». Les deux femmes se retournent vers la file et Olivier qui a peu avancé. Céline propose alors un second poème que Chrystelle accepte. Ce sera « Désobéissons ! » de Joséphine Bacon et Laure Morali. « C’est une de mes maximes », glisse l’auditrice qui écoute avec attention ce nouveau texte. Après ces lectures, elle témoigne, conquise par cette expérience poétique : « Ça m’a fait du bien. Ce sont des lectures saines. Ça me met de bonne humeur. La poésie, ça met des sourires et les visages sont lumineux. »

© Olivier Pernot

Céline Hilbich aborde les personnes avec beaucoup de délicatesse, un large sourire sur le visage et de la douceur dans les yeux. C’est au tour maintenant d’Anne-Marie, 89 ans, une autre habitante de Carvin, habituée de ce marché. Anne-Marie regarde la liste, voit les noms des auteurs et choisit « Trois Glorieuses » d’Abdellatif Lâabi. A peine Céline a commencé qu’elle s’exclame : « Ah, vous le récitez sans le lire ! ». Puis à la fin, elle est enchantée : « Ce poème, c’est la vérité. Ça m’a plu cette lecture. » Puis elle rajoute : « Dans la vie, il faut être humain. »

Le temps a avancé et le marché de Carvin va toucher à sa fin. Les étals se vident et certains marchands commencent déjà à remballer. Les files deviennent trop courtes pour que l’attendeur public y tienne son rôle. « Il va falloir proposer de la poésie à la volée », explique Céline Hilbich. Voilà justement Joël, 70 ans, un autre habitant de Carvin, qui passe par là. Il choisit « Éducation citrique » d’Olivier Nikolcic. A la fin de la lecture, il commente : « C’est pas mal, c’est pas mal ! C’est original ». Puis, quand il apprend que l’auteur est juste devant lui, il lâche, enthousiaste : « Ah, c’est vous qui l’avez écrit ! Ce texte avec « éducation » et « citrique » accolés, ça m’a intrigué. ». La discussion s’engage alors avec l’auteur. Quand Joël apprend que Céline et Olivier ont une compagnie, il veut savoir où ils vont bientôt passer en spectacle et ils s’échangent leurs mails.

© Olivier Pernot

Un peu plus loin, il y a Véronique, 60 ans, venue de Bauvin. Son choix se porte sur « Travailler, c’est trop dangereux » de Pierre Soletti. Elle s’explique : « Je suis sage-femme et j’adore mon travail. Dans six mois, je serai à la retraite et je vais pouvoir me poser pour lire, pour aller au théâtre. Mais mon métier, qui est passionnant, va me manquer. Le lien social va me manquer. » Le lien social, c’est ce que crée cet impromptu surprenant de poésie offerte aux passants. « Ce que nous proposons, c’est un voyage immobile », explique Olivier Nikolcic. Céline Hilbich complète : « Certaines personnes ferment les yeux et se laissent porter par les mots. Dès que quelqu’un accepte le principe de notre proposition, il se laisse aller et une suspension se crée. » Véronique est enchantée : « Cette lecture m’a beaucoup plu et vous êtes charmante », dit-elle en regardant Céline. « J’aime ce principe de lecture de poésie sur le marché. »

© Olivier Pernot

Il n’y a plus grand monde sur le marché, mais Céline, 40 ans, s’arrête pour se faire lire une poésie. Elle choisit « Crédo » de Jean-Pierre Siméon et se souvient : « J’ai fait du théâtre et j’avais beaucoup aimé cet auteur. » Cette professeur de piano habitant à Carvin apprécie cette lecture : « C’est super sympa. C’est un petit moment convivial après la période du covid… Cela permet de renouer avec les autres et c’est plutôt cool ! »


Texte et photos par Olivier Pernot

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