Au creux de la vallée de la Selle se niche un coin de paradis à la base nautique de Lœuilly. Ici, tout est calme et animé ce samedi 26 juillet 2025. La brise légère dans les saules, le moulinet précis des pêcheurs, le délicat frottement de l’eau sur les berges, quel vaste terrain de jeu pour les deux artistes de Phonotopie.




C’est l’heure du pique-nique, les œufs s’écalent, les tomates coulent et les guêpes lorgnent le melon. « C’est vraiment une surprise, on n’a pas divulgué l’information aux familles, » souffle Antoine Demoury, responsable de l’Astrolabe – centre social de la Communauté de Communes Somme Sud-Ouest – situé à Beaucamps-le-Vieux. « Nous organisons huit sorties chaque année que nous imaginons avec nos usagers. L’idée est de construire une offre qui dépasse la simple consommation d’activités. Ces sorties s’adressent aux personnes allocataires de la Caisse d’Allocations Familiales qui finance l’opération aux côtés de la communauté de communes. Aujourd’hui la thématique c’est sport et nature. Les deux artistes nous ont contacté pour nous proposer une balade sonore et on s’est dit que ça collait vraiment avec le programme de notre journée. »

Pendant le temps du repas partagé, les deux plasticiens sonores de Phonotopie s’installent dans la Coulée Verte, ancienne voie de chemin de fer transformée depuis 1997 en sentier de randonnée. « On a plutôt l’habitude de faire des formats d’écoute sonore qui durent une heure et demi. Aujourd’hui, c’est particulier, on va s’adapter vraiment aux publics car il y a des tout petits et on doit les libérer pour qu’ils profitent également des pédalos, » explique Stéphanie Collonvillé, artiste du duo.
Les deux artistes rejoignent les familles pour le temps calme sous la tonnelle, se présentent et invitent à la promenade. « On va faire une chose qu’on n’a pas l’habitude de faire, une balade avec nos oreilles, on va se plonger dans cet endroit avec notre casque intégré ! » La petite troupe est menée sur un premier point d’écoute, pieds bien ancrés dans le sol, yeux fermés, esgourdes grandes ouvertes pendant deux minutes et puis, on discute de ce qu’on a entendu et comment on a entendu.


Petits et grands se prennent au jeu
« J’ai entendu les oiseaux, la route et le roulement sur les cailloux, le vent, les gens qui crient, un drôle de bruit dans l’eau, peut-être un requin, ça a fait GLOUK ! » s’esclaffe Lola, 11 ans, provoquant le rire des parents. Stéphane Lehodey, plasticien sonore de Phonotopie, donne quelques éléments de lecture : « Quand on navigue dans cette épaisseur sonore, il y a des sons très proches, des sons plus éloignés et des sons dans le lointain et on s’aperçoit que le son est impermanent. Les choses existent mais c’est toujours changeant. »



Le groupe s’enfonce dans les étangs, « c’est plus calme ici, il y a du vent mais pas de la même manière, c’est pas les mêmes arbres, » précise l’artiste. On apprend à mettre ses mains en coquillage autour de ses oreilles, à connecter ses antennes à la nature et doucement, quelque chose se produit : de la science, de la philosophie, de l’histoire…
De la récréation et de la création
« Mais, je pense qu’on n’entend pas le vent ! On l’entend quand le vent rencontre des obstacles, on entend les feuilles par exemple – et on le ressent aussi – mais le vent ne fait pas de bruit, » réfléchit tout haut Michel, venu aujourd’hui avec ses enfants. Cheminant vers l’étape suivante, il convoque ses souvenirs : « Je participais à des balades sensorielles à la tombée du jour dans la Drôme, c’était il y a longtemps mais je me souviens bien : quand on croise la lavande, les pins ou les saucisses grillant sur un barbecue, ça éveille nos sens différemment. »


L’heure du pédalo approche et pour terminer la rencontre, nous rejoignons la Coulée Verte. Devant une fenêtre percée dans la végétation et donnant sur un pré où paissent des vaches, Stéphane et Stéphanie ont installé un système d’écoute mobile et des couvertures. On s’assoit, chacun son casque vissé sur la tête et c’est parti. Dans L’autre chemin, traversant un paysage rural, un train arrive, passe et repart. Cinq minutes plus tard, c’est une vague d’exclamations : « On ne sait plus si c’est dans le casque ou dans le réel ! » (…) « J’ai cru que c’était la réalité, on s’y croyait, on était dans le train ! » Stéphanie Collonvillé explique brièvement l’histoire de cette ancienne ligne de chemin de fer et l’écriture sonore de cette pièce, enfants et parents replient les couverture, remercient les artistes et rejoignent le plan d’eau.






« Nous, c’est les sons, pas les bruits ! »
Phonotopie s’est rapprochée de MTVS, une association qui répare les trains à vapeur située à Crèvecœur-le-Grand et a mené une collecte de sons dans la vallée pour créer cette œuvre qui retraduit le paysage sonore de la Coulée Verte. « On enregistre, on récolte et on recompose, » précise Stéphanie. « Aujourd’hui, on appréhendait un peu parce que c’était une journée chargée pour eux. On peut faire de la com’ et ça mobilise des publics d’habitués, mais dans la programmation des Plaines d’été, notre objectif est de toucher de nouvelles personnes. Ce soir, nous allons au camping de Long, ça va être bien, c’est un camping de pêcheurs, construit tout près de l’eau, c’est sauvage ! »


Un bref échange à l’issue de l’impromptu avec le responsable du centre social permet aux artistes d’imaginer des pistes de suites à donner à cette rencontre. « Ça fait du bien aux oreilles cette balade, » comme dit Lola, pleine de sens et de liens.
Texte et photo : Clémence Boulfroy