17h. Coulée verte de Montataire. Habitants et habitantes du quartier se sont rassemblés en cercle à l’ombre des arbres. Une musique retentit et, après quelques mesures, Christine et Špela, toutes les deux voltigeuses, pénètrent au milieu de la piste. Elles se regardent, s’approchent, s’enlacent et commence alors un ballet qui durera une demi-heure. Elles s’escaladent, se propulsent, tourbillonnent, leurs corps s’entrecroisent, s’entremêlent, se serrent. Des corps qui semblent être tantôt des marches qui leur permettent de s’élever, tantôt une sorte de trampoline de chair sur lequel rebondir, un filet de sécurité qui permet d’oser, sans risquer de tomber.
Ce spectacle, Passing Swiftly de la compagnie Un loup pour l’homme, joué dans le cadre d’une tournée d’été de La Faïencerie, invite à la réflexion, à la poésie des corps. S’apprivoiser, s’essayer, se faire confiance, s’épauler et se rendre compte qu’à deux l’équilibre est plus stable, mais que si l’une lâche, tout redevient précaire. Tout est ici affaire de complicité et de foi dans l’altérité. Au fil de la prestation, la musique s’accélère tel un courant marin, une tempête ou qu’importe. Car ici rien n’est dit, tout est suggéré et chacun est libre d’y voir ce que son imagination lui souffle. « À un moment j’étais presque hypnotisée, emportée. On sent une telle complicité entre les deux artistes, tout est fluide« , confie Nicole, encore charmée par la prestation des voltigeuses.
Toubali, venue avec ses filles a été quant à elle été marquée par la douceur du spectacle, « Rien n’est brusque, ce n’est pas violent. Mais pour autant, c’est très sportif, on sent qu’il faut beaucoup de travail derrière tout ça.” Un avis partagé par Stéphanie, venue avec ses voisines. « Un spectacle comme ça, ça n’est pas possible sans un entraînement important. J’ai trouvé ça à la fois touchant car très énergique, on sent qu’elles donnent beaucoup d’elles et reposant, grâce à la musique. » « Il y a beaucoup de zénitude, elles créent en quelques minutes une ambiance très douce, grâce à leur grande complicité« , complète Christine.
Zoé, 14 ans, a particulièrement apprécié leur capacité à mobiliser leurs corps de manière si intense pendant un si long moment, sans s’arrêter un seul instant. « Et puis c’est bien que ce soit à côté de chez nous !« , lâche l’adolescente. Tout comme Valérie, « je n’ai pas de voiture donc ça n’est pas toujours facile de bouger du quartier. Là le spectacle est juste à côté de mon immeuble, c’est super pratique ! » « C’est primordial de faire venir la culture jusqu’aux gens« , indique Céline, adjointe à la culture à la mairie de Montataire, « Les gens n’ont pas toujours l’impression d’avoir les codes pour pouvoir entrer dans des salles culturelles, alors leur amener comme cela, c’est vraiment super« , poursuit-elle.
En parlant de salle, Meriem, 7 ans, adorerait revoir le spectacle, « dans une salle plus grande et qu’il dure plus longtemps. J’aimerais bien que ça recommence, c’était trop bien !« , sa petite sœur Marwah, 5 ans, est du même avis : « quand elle était allongée par terre et que l’autre a sauté sur ses pieds et ses mains c’était trop bien !«
Špela, l’une des voltigeuse est ravie de l’accueil du public, « on sent que ça les a intéressé. Ils étaient concentrés et ils nous envoyaient une bonne énergie ! » « Ce spectacle c’est une proposition très intime, nous sommes très proches des gens, on a senti ici que les enfants étaient calmes, que les gens sont vite partis avec nous« , poursuit Christine. Le duo, qui peaufine en le jouant cet été ce nouveau spectacle, confirme le sentiment du public : “On cherche le calme, la tendresse. Ça n’a pas l’ambition d’être spectaculaire. »
Dans ce spectacle tout en corps et en son, où l’interprétation de chacun est libre, qu’y voient-elles en tant qu’artistes ? « Nous sommes deux voltigeuses et sommes plus habituées à être dans les airs qu’à porter ou se faire porter. Se pose alors la question de “qu’est ce qu’il se passe lorsque l’on change les rôles qui nous sont assignés dans la vie ?« . « Comment faire pour ne pas rester fixé, comment chercher une autre façon de faire, et ne pas rester cantonné dans des rôles prédéterminés ou dans sa zone de confort« , glisse Špela. Passing Swiftly n’apporte pas directement les réponses à cette question, mais réussit à insuffler suffisamment de poésie et de douceur pour se sentir prêt à se mettre à réfléchir.
Texte et photos : Clémence Leleu