« C’est un âne qui veut être un cheval. Ses parents le ramènent chez le docteur parce qu’ils disent qu’il est bizarre. Le docteur dit qu’il a une maladie rare mais pas grave. C’est la maladie de l’ailleurs, lui il veut voir d’autres choses. » Voilà, nous n’aurions pas pu mieux résumer le spectacle qu’Elias, 10 ans, venu voir l’Impromptu d’Adeline-Fleur Baude de Barbaque Compagnie, à la médiathèque La Passerelle de Courcelles-les-Lens.


Ce samedi 20 septembre, Adeline-Fleur a, pendant une trentaine de minutes, donné vie à l’histoire Je veux être un cheval écrite par Agnès Desarthe. C’est bien simple, adultes comme enfants étaient suspendus à ses lèvres pour suivre les aventures de ce jeune âne prénommé Ben. Comme Elias l’a dit, Ben a le cafard. Il a de grandes oreilles droites, une crinière courte et drue et il a le ventre rond. Lui, son grand rêve, c’est d’avoir le port de tête altier, le flanc sec et les crins souples. Bref, d’être un autre et plus précisément encore : un cheval.


Sauf qu’il n’en a rien dit à ses parents qui s’inquiètent de le voir s’éteindre à petit feu dans leur maison. Alors ils l’emmènent vers un médecin chameau reconnu pour qu’il puisse poser son diagnostic. Adeline Fleur devient donc ce chameau, lunette sur le nez et langage idoine pour un médecin de sa trempe. Elle virevolte sur son tabouret à roulettes, s’approche des enfants au premier rang, se replace au milieu de la scène, la trentaine de personnes présente ne la lâche pas des yeux. Le verdict tombe : notre petit âne a le mal de l’ailleurs. Sa prescription : voyager. Aller voir ailleurs si il y est.
Ben va donc marcher, courir, prendre le bateau et l’avion. S’inventer une nouvelle identité, se raconter comme il l’entend à celles et ceux qui ne le connaissent pas. Il se donne d’ailleurs un nouveau prénom : Magic Gulliver D’estafette. Le voyage devait durer quelques mois, voilà plusieurs années qu’il est parti. Adeline-Fleur fait défiler les paysages sur un long lai de papier, tend des images de notre âne croqué au crayon.


Mais bientôt le mal du pays fait sentir le bout de son nez. Les lettres parentales font surgir de la nostalgie dans le cœur de cet âne-cheval. Alors il embarque dans un avion pour rentrer chez lui, dans son village. Ses parents ne le reconnaissent pas tout à fait mais il suffit d’un braiment pour qu’ils lui sautent au cou. On ne va pas divulgacher la fin, car à en croire l’entrain du public, il va vous falloir vous arranger pour venir assister à la lecture d’Adeline-Fleur. « Il faudrait plus d’instants comme ceux-là. Personne n’est devant un écran. On voit les enfants se passionner pour une histoire. Et nous, adultes, ça nous questionne, ça donne envie de voyager. C’est remuant pour tout le monde », confie Edith.
« On fait fonctionner notre imaginaire. Des moments comme celui-ci nous permettent de créer nos propres histoires et de rêver », déclare Pierre. Et Dorothée de compléter « Ça nous fait retravailler notre rapport à l’imagination, en étant portés par la voix de la comédienne et par tout le travail de mise en scène avec les cintres et les dessins. »


Saja, venue voir la représentation avec ses enfants confie elle aussi avoir « adoré la manière de raconter l’histoire. On peut se projeter dans cet âne, quand on est jeune, on a envie d’ailleurs. » Quand on est jeune et même très jeune, car Elias, lui, rêve de partir pour l’Australie. Apolline, elle, s’imagine déjà au Canada du haut de ses 8 ans. D’ailleurs le moment qu’elle a préféré dans l’histoire c’est lorsque l’âne « est parti en voyage et qu’il a couru partout ». Robin, lui, aime bien partir en vacances mais confie tout de même que lorsqu’il « part en vacances, ma maison me manque. Après, j’aime bien la retrouver. »
Comme Robin, mais aussi comme notre âne, la plupart des adultes présents dans la salle confient avoir mis les voiles quelques centaines de kilomètres plus loin, mais c’est toujours vers le Bassin minier qu’ils sont revenus. « La mentalité du Nord peut manquer », confie Adeline. Dorothée aussi est partie, « pas très loin c’est vrai, mais je suis quand même revenue pour être proche des miens ». Idem pour Pierre, qui a tenté l’aventure marseillaise, « À Marseille c’est vrai qu’il y a toujours le soleil, mais on revient dans le Nord pour ses attaches. » Isabelle a expérimenté plutôt la position des parents de notre petit âne : elle a vu partir sa fille en Australie, une fois celle-ci jeune adulte. « Elle est partie vivre sa vie là-bas mais elle n’a jamais été aussi heureuse qu’en revenant parmi nous. Finalement ce moment loin l’une de l’autre nous a permis aujourd’hui d’être très proches. »


Valérie, elle, reconnaît l’importance des voyages dans la création de son identité, « pour se connaître, il faut aller voir ailleurs, rencontrer d’autres personnes. Pour comparer, pour apprendre, pour se remettre en question. Et aussi comprendre finalement que ce que l’on a, on est chanceux de l’avoir. » Car il est aussi important de se souvenir qu’un départ, comme le souligne Edith, peut-être choisi (si tant est qu’on en ait les moyens) mais aussi subi. « Les jeunes veulent s’émanciper, découvrir, mais malheureusement dans d’autres pays les gens s’en vont, quittent leur ville ou leur pays à cause de la guerre. »



Pour la comédienne Adeline-Fleur, cette rencontre-lecture est un succès, « c’était très agréable, j’ai senti tout le monde attentif, de ma place je vois tout ce que les gens font », précise-t-elle dans un sourire. « C’était tellement plaisant, on a envie de partager plein de choses ! » Mais alors que tout le monde commence à reprendre ses affaires et quitter la salle, Marceau s’approche pour me confier que lui, personnellement, il comprend tout à fait : « C’est mieux d’être un cheval, je préfère ! »


Texte et photos : Clémence Leleu