« Demain je suis enfin grande, j’embrasse ma mère, mon père sur le front et je dis : laissez-moi faire maintenant, je crois que j’ai compris le chemin qu’il faut prendre.
Demain je n’écoute déjà plus leur voix qui me dit : fais attention, ne va pas prendre froid, ne vas pas tomber, ne vas pas te faire mal, tu es trop jeune tu es trop petite, tu es trop gentille, tu es trop fragile.
Demain j’ouvre la porte et je marche tout droit.
Demain mon cœur est un tambour, mon dos est droit, mes jambes ne tremblent pas.
Demain le ciel est dégagé, l’horizon est impeccable et la première ville m’attend.
Je la regarde dans les yeux. Je lui dis : es-tu prête pour moi, pour nous qui arrivons ? »
Qu’est-il possible de faire demain ? À tout âge mais plus particulièrement à la sortie de l’adolescence ? Qu’est-il possible d’entreprendre pour que le mot « demain » puisse encore être prononcé ? Que demain soit libre, radieux, fougueux, enjoué, généreux, équitable et etc ? Est-il possible de faire un pas de côté pour sortir du sillon menant le troupeau à l’abattoir, d’observer et de faire, et faire juste, avec le courage du cœur ?
Dans son très beau texte, intitulé tout simplement « Demain », Mariette Navarro s’adresse plus particulièrement aux adolescent·es. Et sûrement aussi aux adolescent·es sommeillant en chacun des plus matures.
« Demain je remonte mes manches,
demain j’échauffe ma voix, je fais de petits sauts pour m’aligner comme il faut au centre de moi-même.
Demain j’ai une taille adulte, un sac à dos avec l’essentiel et je suis calme. »
Un texte fort que le duo Chloé Thorey et Anaïs Delmoitiez de la compagnie Fais-le-soi-même ont choisi d’incarner dans une version théâtralisée et musicale. Une des représentations a eu lieu vendredi 26 juillet au café citoyen nommé La maison des faiseurs à Montreuil-sur-mer.
Une interprétation tour à tour enjôleuse, révoltée, militante, encourageante et toujours généreuse.
« J’ai beaucoup aimé ce mélange musique et lecture, c’était magnifique, confie Catherine Zambon. Je suis moi-même autrice. J’écris surtout pour le théâtre. Je connais un petit peu les textes de Mariette Navarro. Elle s’intéresse à des choses de notre époque, notre société. Son écriture est très accessible et directe. »
Dominique, quant a lui avait préféré savourer le spectacle depuis la terrasse. « C’est très apaisant, des voix de femmes, souffle-t-il tout en observant sa coupe de glace légèrement dégouliner. « La dame blanche aussi, ça m’apaise. » Dominique s’est laissé bercer par la musique. « J’ai écouté les voix, pas les paroles. J’arrive jamais à faire les deux en même temps. C’est compliqué, la vie. C’est peut-être l’âge. Le spectacle m’a apaisé et c’est déjà pas mal. »
« Demain je n’achète rien, que des chaussures inusables pour me planter dans le monde et quelques fruits pour l’estomac.
Demain je marche beaucoup, je veux connaître tous les chemins, toutes les routes et me faire un avis sur tous les paysages.
Demain je dis cher journal, chère télévision, chers discours officiels, il faudrait voir à ne plus faire peur, à donner du courage plutôt que de la peur.
On pourrait commencer chaque page par ce qu’il reste à inventer, à fabriquer, à réparer.
Il faudrait voir à mettre tout son corps entre le malheur et ceux qui vous écoutent.
Si c’est trop difficile je pourrais vous aider. »
Chloé Thorey avait déjà interprété les mots de Mariette Navarro dans une de ses pièces de théâtre il a quelques années. « Je suis tombée sur ce long poème, exprime-t-elle. C’est un texte introspectif dans lequel on se demande ce que sont devenus nos rêve d’enfants. « Demain » s’adresse à des ados et pose la question : comment se projettent-ils dans leur avenir ? »
Pour Anaïs Delmoitiez, il y a la notion cruciale de la déconstruction. « Elle propose une manière d’aborder l’autre, le monde. Ce texte a touché l’ado que j’étais et qui aurait aimé entendre ces choses. » Anaïs Delmoitiez a beaucoup travaillé au chevet de personnes âgées en maisons de retraite. « C’étaient des petits instants artistiques dans des moments désespérants. Je chantais tout bas pour que ce soit le plus doux possible. Et sinon, il y a beaucoup de jeunes en souffrance psychologique. Comment soutient-on la jeunesse ? Heureusement, il y a des dispositifs comme Plaines d’été pour les accompagner. »
« Mariette Navarro écrit une poésie hyper concrète, rebondit Chloé Thorey. Elle fait apparaître des tableaux. Je viens d’un monde qui ne va pas du tout au théâtre. » L’actrice n’a plus envie de jouer uniquement devant des personnes qui ont un abonnement. Elle souhaite aller à la rencontre des gens. « Que va-t-il se passer pour les jeunes ? On subit le choix de certains qui veulent continuer à nous mener vers la fin du monde. Le mot « Demain » revient souvent dans le texte. C’est presque un mot politique. »
« Demain je regarde mes chaussures usées, je pense à toutes les routes et à tous les sentiers,
je pense à toi et je te dis :
Demain c’est toi qui seras enfin grande.
Tu embrasseras ton père ta mère sur le front et tu diras :
laissez-moi faire maintenant, je crois que j’ai compris le chemin qu’il faut prendre. »
Focus sur La Maison des Faiseurs :
« Au début, nous étions quatre amis à vouloir à la fois créer notre propre emploi, en autonomie et qu’il y ait de l’épanouissement au travail, » explique Sébastien Birot. L’équipe souhaitait s’engager de manière militante dans la vie locale. Pour apprendre, ils sont allés s’immerger dans des lieux inspirants. « Nous avons fait beaucoup de rencontres dans différents lieux, poursuit-il. Au départ, on voulait faire des camions d’animations itinérantes. Avec notre caravane, nous avons sillonné le territoire. Le collectif s’est agrandit. »
Puis, après de nombreuses aventures, l’équipe a cherché un lieu pour se poser. « Nous avons fait du théâtre et des ateliers dans un village. C’était pendant le covid alors c’était en visio. » Ils ont eu l’idée de développer un café citoyen sans oublier pour autant l’itinérance. « Pour ne pas faire de l’entre-soi. J’ai trouvé des aides pour la création d’un tiers-lieu, avec des valeurs d’accueil inconditionnel. Ce sont les gens qui font la vie du lieu. Ici, les bénévoles ont tout construit en quelques mois. De mars à mai de cette année. On fait. On est des faiseurs. D’où le nom du lieu. On agit contre ce qu’on nous propose. Avec simplicité et authenticité, et une volonté de faire avec les habitants, pour un changement de regard, permettre l’émancipation, une conscientisation. Développer le pouvoir d’agir des habitants. Tout ça avec convivialité. Vivre ensemble. On célèbre de belles choses ici ! »
La Maison des Faiseurs, 5 place de la gare à Montreuil-sur-mer
Texte et photos © Gaëlle Martin