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L’eau de Wirwignes

Lorsque nous étions sur les bancs de l’école primaire, nous avons appris que le cycle de l’eau vient des océans, qu’elle est chassée par les nuages et retombe en pluie. Puis, elle arrose la terre et fait pousser de la végétation. Ce qui nous a, semble-t-il, a amené à penser que la Nature était une puissance immuable qui gérait tout quoiqu’il advienne. Oui mais il y a un énorme « OUI MAIS » avec un « ! ». Cette explication du cycle de l’eau ne prend pas en compte l’intervention de l’humain·e sur les paysages. Depuis l’Antiquité et de manière très accélérée ces dernières décennies, la modification des paysages entraîne plus vite l’eau vers le bas des pentes. La déforestation, la culture intensive, l’artificialisation des sols génèrent ce phénomène de drainage où l’eau des pluies ne s’infiltre plus dans les sols et s’évacue au plus vite vers la mer.

Pourtant, malgré les preuves, cette vision désuète et inconsciente du cycle de l’eau persiste. La non-considération de l’impact humain·e entraîne son lot de catastrophes, ironiquement dites naturelles.

Il y a deux ans, le village de Wirwignes (62) a connu de fortes inondations. Elles ont profondément marqué l’esprit des habitant·es. De l’eau. Beaucoup d’eau. Énormément d’eau. Des torrents s’invitant sans crier gare provoquant dégâts et situations périlleuses.

Peu de temps avant ces évènements, le comédien Nicolas Grard et sa compagne ont fait leur nid dans ce petit village. Ce dernier a en effet de nombreux attraits. À la fois naturels, architecturaux et humains. Lorsqu’il a pensé l’élaboration de son impromptu avec le Collectif Détournoyment, financé par la Direction régionale des affaires culturelles dans le cadre de la programmation Plaines Villages, Nicolas Grard a souhaité travailler avec les habitant·es pour leur offrir l’occasion de sublimer pour mieux panser le traumatisme engendré par les inondations. L’eau fut donc naturellement choisie comme thème pour un impromptu déambulatoire. Celui-ci s’inscrit dans une série de dix dates, dans d’autres villages. Nicolas Grard adaptera donc sa proposition en fonction des lieux.

Rencard était donné à 16h30, ce dimanche 11 mai 2025 très ensoleillé, devant la médiathèque. Impossible de ne pas repérer illico qui était le guide. En effet, ce dernier brandissait fièrement un bâton coiffé (chaussé ?) d’une palme en plastique. « Chut ! La palme dort. » Peignoir éponge bleu laissant voir un short de bains, sac de plage à l’effigie du Festival du film de demain, mollets moulés dans des chaussettes rouge Pape et pour parachever en beauté cet accoutrement, chaussures de plage en plastique de type méduses. « Chez moi, on dit des gougounes », « Ah bon ? Chez moi, on dit des fifizes. » [ L’élaboration d’une cartographie répertoriant les différentes appellations de ces chaussures mythiques a-t-elle déjà été réalisée et/ou envisagée ? ]

Nicolas Grard a invité l’assemblée à entrer dans la bibliothèque pour la première étape du spectacle aquatique déambulatoire. Le récit de l’histoire du village et de ses habitant·es par Anne Devisme. Pour illustrer son propos, cette dernière s’appuyait sur un immense livre, réalisé il y a plus de 20 ans avec les enfants du villages. « C’était dans le cadre d’un appel à projet du Parc naturel régional des caps et marais d’Opale, se remémore-t-elle. Cet appel s’adressait aux écoles et aux groupes déjà constitués travaillant avec les enfants. L’objectif était de faire découvrir son village, ses richesses, son patrimoine et de raconter aux autres enfants ce qu’il y avait de spécifique à Wirwignes. » Anne Devisme ainsi que d’autres parents avaient déjà mis en place des occupations pendant les vacances scolaires. Balades et loisirs créatifs. « Pour ce projet, poursuit-elle, nous nous sommes promenés depuis la source et nous avons imaginé le chemin de Gouttelette. Nous avons voulu parler des prairies, des animaux, des pommiers, puisque nous avons une terre excellente pour les pommiers. D’ailleurs, une variété s’appelle la Précoce de Wirwignes. Puis l’église du village, le fameux moulin qui n’est pas très beau mais dont l’histoire valait le coup d’être racontée et enfin les tartes aux papins de Mémère Harlé. » Tartes ayant attiré l’attention de Pierre Bonte pour un reportage réalisé en 1981.  

Levée de camps pour se rendre à l’église. Lorsque les premier·es visiteur·ses ont pénétré ce monument incroyable, La Truite de Schubert est sortie directement du violoncelle de Nathalie Hoyer et de la flûte traversière de Nicolas Louchez pour venir frétiller aux esgourdes des spectateur·rices, aux anges. Les deux musicien·nes ont ensuite étoffé ce récital de quelques morceaux supplémentaires, pour le plus grand ravissement de tous·tes.

Puis, Nicolas Grard a profité du trajet menant au prochain point pour raconter l’histoire de son ami Léon. Le comédien avait préparé une grande série de panneaux avec des devinettes pour agrémenter le tout. Ce fut ensuite au tour de Laurence Rémy de lire avec beaucoup d’émotions, un texte de son cru. L’eau fut également chantée par tous·tes avec la chanson de Jeanne Cherhal.

Oh, c’est l’eau, c’est l’eau
C’est l’eau qui m’attire, c’est l’eau

Même l’eau des larmes comme un vacarme dans les yeux
Même l’eau des pleurs arrose les fleurs de mes aïeux
Et l’eau de ta bouche quand je la touche avec la mienne
C’est l’eau qui me va, celle que je bois comme un poème

La balade a pris fin à l’atelier du céramiste, François Devisme, où ce dernier a fait, avec beaucoup d’humilité et de gentillesse, la démonstration d’un tournage de cruche sur un tour très ancien.

« C’est une belle expérience pour les gens qui ont participé et ceux qui ont vécu les inondations de plein fouet. Le rôle de l’artiste est d’occasionner un questionnement sur la vie en société, l’environnement, les changements climatiques. La question de l’eau a rassemblé tout ça, » a conclu Nicolas Grard.

Texte et photos : © Gaëlle Martin

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