La compagnie Jusqu’ici tout va bien a livré au coeur du parc de la fraternité son spectacle Avant l’esquive, forme courte. Un terrain de basket, un ring de boxe reconstitué et 35 personnes autour de l’artiste ganté et prêt à livrer sa performance : le spectacle peut commencer.
Ce samedi 8 septembre après-midi, Hermes, petite commune de l’Oise, était à la fête. Sur le parvis de l’église des mariés étaient célébrés en fanfare par des cors de chasse, des cotillons en formes de cœur et des invités sur leur 31. En contrebas, pompiers et pêcheurs du coin étaient aux aguets dans le Thérain, cour d’eau sur lequel a habituellement lieu des entraînements de kayak, mais où glissaient ce jour-là une multitude de canards jaunes en plastique, ouvrant le bal au défilé de radeaux faits maisons par les habitants. Et quelques mètres plus loin, le parc de la fraternité accueillait le forum des associations où chacun pouvait s’essayer à la pratique d’un sport. Au milieu de toute cette agitation, la compagnie Jusqu’ici tout va bien était en train d’installer le décor du spectacle à venir sur le terrain de basket situé au fond du parc, en espérant que le ciel allait retenir la pluie pour une heure encore. Vœu exaucé.
La toile grise fixée sur le sol, les enceintes positionnées aux quatre coins de la scène éphémère, le sac de frappe droit comme un i en son milieu et les gants de boxe déposés à l’entrée, tout est prêt, ne reste plus que le public à aller chercher. Mais entre les canards, les stands et les radeaux, il n’était pas facile de se faire une place. « Ça questionne sur ce que c’est de faire un spectacle et pour qui on le joue », confie Adrien Taffanel, artiste circassien. « C’est intéressant de voir que des personnes sont potentiellement prêtes à donner 20 minutes de leur temps alors qu’elles ne l’avaient pas prévu. »
Adrien et son comparse Florian ont filé à travers le parc pour faire venir à eux curieux et curieuses qui ont pris place sur les bancs installés autour de la scène ou plutôt du ring. Puisqu’il est question, dans le spectacle seul en scène interprété par Adrien, d’un combat de boxe. Ou peut-être qu’il serait plus juste de dire un non-combat ? C’est justement ce que tente d’ausculter le spectacle : Avant l’esquive, forme courte.
Pendant vingt minutes, Adrien livre un ballet aussi gracieux qu’aiguisé. Gants aux poings, il se prépare, jauge le sac de frappe, le fait basculer, l’enlace, l’escalade. Le corps est tendu, les muscles affûtés, les coups fendent l’air, le combat pourrait presque commencer. D’ailleurs, la sonnerie de début du match a déjà retenti. Sauf que personne n’arrive. Adrien reste seul sur le ring, accompagné par une musique qui sature l’espace. Son corps s’assouplit, se lance dans un ballet gracieux, puis prend presque la forme d’un gorille qui se déplace aux quatre coins du ring. Une orange pour reprendre des forces. Le public est accroché. Les yeux ne le quittent pas. Ceux des hommes particulièrement.
La sonnerie retentit une nouvelle fois, le corps se tend de nouveau, les coups pleuvent, mais toujours dans le vide. Le sac de frappe ne sera jamais frappé. Alors échec ou volonté de se soustraire à la violence ? C’est au public de décider, de se positionner, d’y réfléchir. Une fois qu’il a quitté la scène, que les applaudissements ont retenti faisant oublier l’agitation alentour, Adrien réapparaît et explique sa volonté de réflexion autour de la mise en spectacle de la violence. « Qu’est-ce que ça fait de donner des coups, d’en prendre ? Qu’est ce que ça crée en soi ? », questionne l’artiste. « Lorsque l’on est un petit garçon on nous apprend qu’il faut jouer à la bagarre. Puis lorsque l’on devient plus grand, elle est là, face à nous, ce n’est plus une question de jeu », poursuit Adrien. « Moi je n’étais pas un bagarreur, j’ai donc voulu questionner cela : être un garçon et ne pas aimer se battre. Ce que cela dit ou non de ce que serait la masculinité. »
Une fois qu’il quitte la scène, on sent que certains spectateurs et spectatrices sont encore émus par ce qu’ils viennent de voir. À l’instar de Céline et son compagnon Olivier. « C’est superbe, c’est beaucoup d’émotions. On voit tellement de réactions sur son visage. C’est vraiment beau », raconte-t-elle. « Son corps bouge vraiment bien, c’est fort de mélanger de la gym et de la boxe comme ça », poursuit Olivier. Leur fille, Maëlys, a surtout aimé lorsque l’artiste « faisait le poirier avec les gants de boxe. C’est déjà super dur sans alors là ça devait être pire ! »
« C’était très fort », raconte Anaïs, venue elle aussi en famille. « Chacun peut poser son regard sur l’histoire qu’il veut raconter. Pour moi ça parle de la difficulté de se relever lorsque l’on est par terre, que l’on a combattu quelque chose ». Son mari Vincent, a lui aussi beaucoup aimé la prestation, « Je trouve que ça donne de l’espoir. Ça montre que quand on est à terre, on peut se relever. Et puis c’est intéressant, ça fait vivre le milieu de l’art dans une petite commune. » Le défilé de radeaux va bientôt commencer, le public s’est déjà éparpillé à travers le parc. Didier est en train de se diriger vers le bord de l’eau mais voudrait saluer la performance, « En dehors de ce que cela permet d’imaginer, c’est surtout la performance sportive qui pour moi est intéressante car ça parait simple ce qu’il fait alors que c’est excessivement compliqué de faire cela pendant 20 minutes. » Et le spectacle en lui-même ? « Au début on se demande où il veut aller, mais au fur et à mesure chacun peut imaginer ses petites choses, c’est ouvert, il n’impose rien. » C’est peut-être par ici que commence la première esquive à la violence : ne rien imposer.
Textes et photos : Clémence Leleu