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La tectonique des corps

  • Danse, Nord

Proposée par la compagnie de danse La Malagua, la pièce chorégraphique Tectonique avait lieu le samedi 23 août à Chaud Bouillon dans le quartier de Fives à Lille. Un spectacle captivant interprété par les danseurs Scheherazade Zambrano et Leonardo Robayo, et la musicienne Valérie Guirao.

Le quartier Fives Cail à Lille est en pleine réhabilitation autour de la grande halle où se trouvait pendant cent-quarante ans une méga usine de métallurgie. Une partie de cette immense halle s’est transformée en Chaud Bouillon, un endroit hybride avec plusieurs échoppes pour acheter des plats du monde entier, des grandes tables et des bancs pour s’installer et au bout de l’espace, une scène. Dans la programmation d’événements qui s’y déroulent régulièrement, la compagnie de danse lilloise La Malagua y proposait donc Tectonique, sa nouvelle création. Il s’agissait seulement de la deuxième représentation de cette pièce : la première a eu lieu la veille dans la cour intérieure du centre hospitalier de Maubeuge. « Nous profitons de Plaines d’été pour tester le spectacle, voir les réactions des publics et faire des ajustements », explique Marcelle Bruce, la chargée de production de la compagnie.

Dans cette soirée du samedi 23 août à Chaud Bouillon, l’endroit est peu rempli, mais petit à petit le spectacle va attirer les curieux, en plus de ceux qui sont venus spécialement pour voir cette création dansée par Scheherazade Zambrano et Leonardo Robayo. La pièce démarre en musique. Sur la petite scène, la musicienne Valérie Guirao joue de sa guitare acoustique. Son jeu, fluide et voyageur, évoque les musiques sud-américaines. Elle vocalise aussi et amène lentement les spectateurs dans l’univers du spectacle. Le danseur Leonardo Robayo est le premier à investir le grand espace dégagé devant la scène, sous un panneau où il y a marqué : « Allez danse ! ». Sa chorégraphie est au ralenti. La danseuse Scheherazade Zambrano le rejoint et ils se lancent ensemble dans un duo au sol : leurs corps s’entremêlent, se superposent, tandis que la musique a évolué vers des sonorités électroniques sourdes et menaçantes.

Les deux interprètes sont maintenant debout. Leur chorégraphie devient plus vive. Ils jouent avec leurs bras, dans des mouvements en parfaite symétrie. Comme des marshallers, ces personnes qui guident les pilotes d’avion sur le tarmac d’un aéroport. Ou comme dans un défilé militaire. Cette chorégraphie en miroir est renforcée par l’impact visuel des costumes des deux danseurs qui sont habillés de la même manière : vestes grises / vertes, hauts blancs, pantalons amples noirs, chaussettes rouges et chaussures vertes. Scheherazade Zambrano et Leonardo Robayo investissent ensuite tout l’espace où ils dansent et se rapprochent du public. Ils marquent le rythme de la musique avec leurs pas tandis que des bruits électroniques étranges sortent de l’ordinateur de la musicienne.

Dans cette nouvelle partie, la danseuse et le danseur sont en opposition : dos à dos, face à face, épaule contre épaule. Leurs corps se frottent, se jaugent, s’affrontent sur une musique techno ethnique, avec des rythmes marqués par des percussions.

Puis les deux interprètes s’observent et se rapprochent. Il se prennent l’un contre l’autre, dans un moment plus intime, sans musique. Une nouvelle séquence s’ouvre alors avec des portés acrobatiques, des corps qui s’enlacent. Un air de flûte de pan et des percussions douces illuminent cette partie. Une petite fille de deux ou trois ans s’arrête alors au bord de l’espace scénique. Pendant un long instant, elle regarde les danseurs, observe leurs mouvements des pieds et des mains alors qu’ils sont maintenant au sol. Puis l’enfant s’assoit sur ses genoux dans la même position que les deux interprètes. Ce moment touchant est à l’image de ce spectacle.

Au sol, les deux corps des danseurs s’emmêlent et se superposent. Ce final, l’un sur l’autre, est comme un retour à la terre, aux racines, à l’organique. Si la proposition a commencé devant une vingtaine de personnes, le public a grossi au fur et à mesure et l’impromptu se termine devant une quarantaine de spectateurs enchantés. Parmi eux, le couple Karine, 54 ans, et Philippe, 56 ans, venus de Hem.

« J’ai trouvé ce spectacle très chouette », commence Karine. « J’y ai vu de la science-fiction, et certains passages me faisaient penser au film Dune. Ce côté reptile, au sol. J’ai vu de l’animalité donc et aussi de la tendresse, avec la musique derrière qui m’a fait voyager dans la temporalité. » Karine aime la danse, qu’elle pratique et dont elle va voir régulièrement des pièces : « Je danse depuis toute petite et je suis proche de cet univers. Je vais voir une vingtaine de spectacles de danse par an. Celui-là, c’est mon premier spectacle de la compagnie La Malagua. Je voulais le voir car j’ai fait un stage d’une semaine au printemps avec Sheherazade et Alejandro, les deux chorégraphes de la compagnie. Ce stage avait lieu dans leur studio de travail à Fives. » Karine est aussi très contente d’avoir découvert le spectacle Tectonique à Chaud Bouillon : « J’aime bien ce lieu. Il y a un côté fou fou où tout est possible. C’est un lieu un peu différent des autres. »

Philippe, le compagnon de Karine, prévient d’emblée : « Je suis complètement néophyte dans la danse. Je n’y connais rien. Karine va voir des spectacles avec ses copines. Mais là, j’avais envie de venir, par amour, pour accompagner Karine. Je suis venu et j’ai apprécié. J’ai adoré la manière dont c’était incarné. C’était à nu, brut, tripal. Ce qui m’a frappé, c’est que la chorégraphie est très construite. Les deux interprètes agissent et interagissent entre eux. Leurs corps se soutiennent, se répondent, ou à l’inverse, sont en contradiction, en opposition. C’est puissant et donc c’est émouvant. Comme je suis branché par la musique, cela me fait penser à des musiciens de jazz, à leur complémentarité, à l’écoute que chacun a de l’autre. »

Alexandra, 38 ans, résidant à Lille-Hellemmes, était aussi présente pour la représentation : « Je suis venue toute seule. C’est mieux que de rester chez soi ! Je ne vais pas souvent voir des spectacles de danse mais j’ai saisi l’opportunité. Je suis curieuse et ce spectacle avait l’air de qualité. Et en effet, c’était chouette ! Il y avait une belle connexion entre les danseurs et la musique. Il y avait également un regard et une belle écoute de la part des spectateurs. J’ai trouvé ce spectacle touchant. J’ai eu ma propre interprétation autour de la notion de déséquilibre. La danseuse qui aide le danseur, le relève. Elle le soutient pour grandir, pour s’élever. On peut faire un lien entre ces deux danseurs et le rapport entre l’humanité et la planète terre, ou dans les relations entre les humains, l’entraide, l’opposition. En regardant le spectacle, j’étais dans une divagation de mes propres préoccupations et j’ai apprécié de me laisser aller. »

Texte : Olivier Pernot
Photos © Olivier Pernot

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