Une valise, une corde, un minuteur. Le tout : de couleur rouge.
Un humain, qui porte une valise et qui semble chercher quelque chose et vouloir prendre la poudre d’escampette.
Un deuxième humain, une corde sur l’épaule, qui regarde en l’air. Quoi donc ? On ne sait pas bien.
Une échelle. Une deuxième échelle.



Les deux humains en question sont Charlie Vergnaud et Sébastien Dault, de la compagnie Le marteau sans tête, respectivement porteur et voltigeur, qui ont proposé, samedi 9 août, leur spectacle circassien de rue La poigne, dans le magnifique verger du carmel d’Abbeville.
Tout commence à 16h. Charlie et Sébastien font leur entrée dans le verger d’un pas décidé et commencent à arpenter les lieux. Promeneurs et curieux observent leur ballet et prennent rapidement place sous les pommiers, parfaits parasols naturels le temps d’une représentation. Tandis que l’un jette toujours un œil vers le ciel comme s’il y cherchait quelque chose ou y espérait y trouver une réponse, l’autre, valise fermement empoignée, donne l’impression de vouloir partir vers d’autres contrées. Très vite le public est pris au jeu, s’émerveille, se laisse emporter et parfois s’interroge tout haut.



« Qu’est-ce qu’ils font ? »
On ne saurait parfaitement répondre à cette question, et c’est peut-être cela qui est beau. Il y a potentiellement autant de scénarios imaginaires à La Poigne qu’il y a de spectateurs. On sent des envies divergentes entre les protagonistes, une volonté de retenir avec cette large corde, puis une quête qui finalement semble devenir commune, un apprivoisement mutuel qui permet aux deux personnages de pouvoir se hisser au sommet d’un double échelle sans craindre la chute, de virevolter dans les airs sans craindre un atterrissage non contrôlé puisque des épaules ou des bras amis vous assurent.


« Il y a un avion, c’est peut-être ça qu’ils attendent ? »
Peut-être qu’ils veulent grimper plus haut pour repousser leur ligne d’horizon, ou alors peut-être qu’ils veulent s’envoler, s’échapper, fuir, ou alors juste exister différemment. Dès lors qu’ils prennent de la hauteur, vont vers leur risque, le public pousse des petits cris inquiets, retient son souffle et applaudit lorsque que la voltige est terminée.


« Il a réussi à me faire décrocher dis-donc. Je me demande avec lui ce qu’il attend. »
Le minuteur passe de main en main comme pour enfin sceller une complicité, une confiance réciproque, de celle qui crée les liens de partenaires de vie. L’échelle semble devenir aussi souple qu’un tissu autour duquel on pourrait s’enrouler, les sauts dans le vide prennent de la hauteur, les corps se frôlent et s’enserrent. Peut-être que La Poigne est finalement plus l’histoire de la naissance d’un apprivoisement, d’une amitié ou d’un amour que celle d’une évasion. Une fois les deux artistes arrivés tous deux au sommet de leur montagne d’échelles, les applaudissements retentissent. Il est déjà l’heure de se séparer, mais après avoir vécu une expérience sensible, qui semble avoir embarqué avec elle le public. Christian, Annie, Dolorès et Jean-Luc sont à peine relevés de la pelouse que les compliments fusent. Tous les quatre louent « le travail d’équilibre, l’humour, l’absurde », « J’adore le spectacle de rue, il devrait en avoir plus souvent. En plus c’est fait avec peu de moyen et cela fonctionne parfaitement », glisse Christian.




La Poigne est un spectacle créé par le duo d’artistes, qui peut se jouer en série de cinq impromptus de dix minutes ou en une seule version longue, comme ce samedi. « Nous avons voulu prendre le contre-pied des arts de la rue qui prennent souvent la forme d’un tintamarre, qui en font un max. Là, nous sommes plus sur la retenue, c’est plus contemplatif, on cherche l’interaction avec les gens. », confie Sébastien. « Le cadre, c’est la rue, l’extérieur. Il n’y a pas de musique, pas d’habillage, c’est agréable car l’on entend les réactions, peu importe leur teneur. Nous voulons laisser la lecture ouverte », complète Charlie.



Manon, kit de tricot dans son sac, s’est installée sous la ramure des pommiers et s’est laissée prendre au jeu. « Je me suis laissée portée. Je n’ai pas cherché le sens des choses », confie la jeune femme. « J’essaie de ne pas trop analyser, de me laisser embarquer. » Freddie et Marie sont eux venus avec leur fille Charlotte. Elle, ce qu’elle a préféré c’est lorsque les deux artistes ont fait « le cochon pendu avec la tête à l’envers. » « Nous sommes venus après avoir vu l’évènement sur internet. C’est intéressant, le cadre met vraiment en valeur le spectacle et en plus c’est gratuit ! », confient les deux parents.








Texte et photos : Clémence Leleu