Le seule en scène proposé par la Compagnie du Peut-être à la médiathèque Jean Moulin de Margny-lès-Compiègne ce vendredi 23 septembre pousse les spectateurs et spectatrices à l’introspection et à la réflexion. Les Mouettes (cri du soir) convoque, un peu à l’image du spectacle La trouée de la compagnie Le compost, la parole des femmes. Mais encore une fois, pas n’importe lesquelles. Celles que la société ne veut plus voir ni entendre : les femmes âgées. Les vieilles, les séniles, les qui perdent un peu la tête. Celles qui tournent en boucle dans leurs souvenirs, celles qui oublient le passé proche mais qui détaillent avec une précision chirurgicale leurs souvenirs de jeunesse. Celles qui sont hospitalisées parce que le corps commence à faire défaut, celles qui peuplent les Ehpad. Celles qu’on vient voir parce qu’on se sent un peu obligé. Mais surtout, celles qui nous contraignent à la lucidité : un jour, nous serons vieux.
Pour ne pas voir la vieillesse, pour ne pas trop se poser la question de la mort, les personnes âgées sont bien souvent silenciées. Alors Lou, la comédienne de la compagnie du Peut-être a décidé de leur rendre leurs voix, par son intermédiaire. Les Mouettes (cri du soir), c’est quatre témoignages de femmes âgées qui s’entremêlent. Des histoires de vie, d’amour, d’époque. Lou est seule sur scène, accompagnée d’un décor simple : un tapis, une chaise, un balai et une table de chevet sur laquelle est posée une radio. Le son mélodieux et mélancolique de l’accordéon qui s’en échappe accompagne ses paroles, la fait danser, plonger dans le passé, retrouver une jeunesse finalement pas tout à fait perdue.
« Lorsque ma grand-mère est entrée en Ehpad, j’ai rencontré plein de personnes âgées. J’ai eu envie de leur donner un espace de parole publique, qui sorte des thèmes souvent reliés aux personnes âgées : le médical ou la guerre. » Lou part alors à la rencontre de quatre femmes, une à l’hôpital et les trois autres qu’elle rencontre chez elles, âgées de 90 à 97 ans. Écoute leurs histoires et trace ensuite les ponts, tisse les liens, pour arriver à cette pièce où la vieillesse s’expose sans misérabilisme.
« Profitez de votre jeunesse parce qu’on est coincé quand on arrive à un certain âge. Arrivé à un certain âge, tout disparaît », « J’ai pu m’organiser pour vivre avec mes souvenirs » « J’ai bien ma tête, je manque juste d’autonomie » « J’ai une fille, elle vient me voir toutes les trois semaines » « On se fait des idées mais p’têt’ qu’on a tort, je ne sais pas » Au fil du spectacle, les visages des spectateurs s’illuminent ou s’aggravent, les têtes parfois balancent au son de l’accordéon, l’émotion est palpable au fil des phrases prononcées par Lou.
« J’ai beaucoup aimé, c’est drôle, léger et émouvant. J’ai eu l’impression d’entendre ma grand-mère décédée à 97 ans », confie Stéphanie. Même parallèle pour Martine « J’ai pensé à ma maman qui n’est plus de ce monde et qui était en Ehpad. Lorsqu’on la promenait, lorsqu’elle voulait voir du monde. »
Rémi, jeune éducateur spécialisé a également beaucoup apprécié la prestation, alors qu’il a passé les portes de la médiathèque par hasard, histoire d’accompagner sa mère qu’il venait visiter pour le week-end. « Je suis très sensible à ces questions d’isolement, d’enfermement. Ça m’a beaucoup touché. Et le fait d’en faire un seul en scène renforce l’idée de solitude. »
Pour Thomas, la pièce convoque la vieillesse mais aussi la question fondamentale de l’égalité femmes-hommes. « J’ai trouvé super la manière dont sont articulés les quatre récits. C’est drôle, engagé, et ça nous fait réfléchir personnellement à des sujets d’actualité. »
Frédérique et Monika sont elles aussi très emballées. « C’est très bien, on voit que c’est du vécu et bien évidemment ça me fait penser à ma grand-mère. C’est très scénique, pur, on est attiré par son personnage. C’est très beau », raconte la première. « C’est la vie, la vie qui passe, l’Ehpad, la solitude. Tout est bien résumé, c’est ce qui nous attend, ça fait même un peu peur », concède Monika.
« Elle a un sacré don d’observation de la vieillesse, des gens qui ont Alzheimer. Les vieux peuvent avoir de l’humour, ils sont dans le passé mais ça n’est pas larmoyant », confie Daniel alors qu’il s’apprête à quitter la salle avec sa canne. « On peut devenir comme ça, mais on est toujours là, on est toujours présents et vivants malgré tout. »
À la fin du spectacle, ce n’est plus de l’accordéon mais une voix de femme qui sort de la radio. Celle de la grand-mère de Lou. Elle lance « ne pas avoir peur du jour où je deviendrai invisible » avant que sa voix ne s’éteigne et laisse la salle, le temps de quelques secondes, suspendue, avant que ne s’abattent les applaudissements.
Texte et photos : Clémence Leleu