PLAINES D’ÉTÉ – Comment construire une cathédrale – 4 juillet – Camphin-en-Carembault
La compagnie se nomme La Camphinoise et ce n’est pas un hasard si la lecture-spectacle Comment construire une cathédrale a lieu à Camphin-en-Carembault : c’est la petite ville d’origine de la metteure en scène Nathalie Grauwin.
Nathalie Grauwin est très émue et très heureuse que son spectacle soit joué là où elle a vécu. Plus précisément il s’agit d’une adaptation en lecture / spectacle de la proposition théâtrale qu’elle a créé à l’automne 2020 à la Maison de la Culture d’Amiens. Le spectacle initial a été joué plusieurs fois dans les Hauts-de-France, notamment à la cathédrale d’Amiens, à Montigny-sur-l’Hallue et à Fresnes-Mazancourt dans la Somme, à Hirson dans l’Aisne, ou dans l’Agglomération des Deux Baies en Montreuillois dans le Pas-de-Calais. Cette proposition était axée autour de la scénographie imaginée par Jean Grison avec une grande structure en bois représentant cette cathédrale en construction.
Le mardi 4 juillet à Camphin-en-Carembault, dans une salle derrière la médiathèque, pas d’imposante structure en bois mais un astucieux dispositif : les deux comédiens, Xavier de Guillebon et Stéphane Valensi, déambulent devant un écran où sont projetés les dessins réalisés en direct par François Lecauchois dit Flec. Derrière sa table, le dessinateur est armé d’une multitude de feutres. Un projecteur filme sa main qui dessine et la feuille de papier où les croquis, souvent en noir et blanc, s’élaborent.
Xavier de Guillebon est un comédien très confirmé, au théâtre comme au cinéma (il a joué sous la direction de réalisateur·rices comme François Ozon, Cédric Klapisch, Jean-Paul Rappeneau, Agnès Jaoui, Robert Zemeckis ou Ron Howard). Pour la lecture / spectacle Comment construire une cathédrale, il est le narrateur de la folle et vraie histoire de Justo Gallego Martínez qui a consacré plusieurs décennies de sa vie à l’édification d’une cathédrale en matériaux recyclés dans la banlieue de Madrid. Un édifice qu’il a construit seul, à la force de ses bras et de ses mains. Il avait cette idée fixe mais n’avait aucun plan.
Xavier de Guillebon déroule le récit de cette aventure d’une vie. L’autre comédien, Stéphane Valensi, se tient sur le côté, en retrait. Il écoute. Puis, il se lève brusquement et interrompt le narrateur. Il joue le rôle de Justo Gallego Martínez. Le bâtisseur de cathédrale se raconte, apporte des précisions en parlant fort. Il se tient devant le public d’une trentaine de personnes. Après le spectacle, Matthieu Lestoquoy, le maire de cette petite ville de 1 800 habitant·es est ravi : « Pour un mardi soir de début juillet, c’est bien cette affluence, alors qu’en plus, certain·es sont déjà parti·es en vacances. » Quelques minutes avant la représentation, l’élu a d’ailleurs rajouté plusieurs chaises dans la salle pour accueillir les dernier·es arrivé·es.
Le spectacle continue, avec un dialogue qui s’installe entre le narrateur et le bâtisseur. Le narrateur raconte ce chantier hors norme : quarante-cinq ans de labeur, des milliers de briques transportées dans des brouettes, des roues de vélo pour faire des poulies. Il est interrompu par des interventions cinglantes et passionnées du personnage principal. Tout cela se déroule dans une douce pénombre seulement éclairée par l’écran. Les dessins qui se succèdent accompagnent le récit de cet architecte / ouvrier excentrique.
Le travail de Flec est remarquable. Appliqué et concentré, le dessinateur donne vie à l’existence de Justo Gallego Martínez et à sa folle obsession. La cathédrale se construit sous nos yeux, le visage de Justo apparaît. Les dessins sont réalisés rapidement, avec précision. Parfois, Flec utilise un stylo blanc sur une feuille noire et il met un gant noir pour dessiner. L’effet est saisissant et tous ces dessins ont conquis le public. Comme Adèle, 17 ans, qui fait une spécialité art en première au lycée : « J’ai bien aimé le concept du spectacle avec les dessins en direct devant les spectateurs. Mais forcément on regarde moins les comédiens. » Elle précise : « D’ailleurs, ce matin-même, il y a eu une autre représentation, pour des enfants de CM2 (10 / 11 ans) et les enfants dessinaient en même temps que le spectacle se déroulait ». Pierre, 64 ans, a lui aussi apprécié le travail du dessinateur : « Cela m’a beaucoup plu. Nous sommes complètement captés par les dessins, par leur grand format sur l’écran. »
Le vrai visage de Justo Gallego Martínez et des images de sa cathédrale en construction sont montrés en conclusion de cette lecture / spectacle passionnante. Les personnes dans le public ont été happées par son histoire, par l’histoire de cet homme un peu fou, un peu rêveur. Les deux comédiens ont donné une interprétation prenante, se partageant la parole, dialoguant, se confrontant même. « J’ai bien aimé la lecture et les dessins », commente Monique, 69 ans. « Et bien sûr le message que transmet ce spectacle : il faut se surpasser dans la vie ! » Elle est enchantée de ce moment : « Je ne vais jamais voir de spectacle, mais là, j’habite à 100 mètres alors je suis venue à pied. C’est bien que la culture vienne au village. » Également habitante de Camphin-en-Carembault, Laurence, 59 ans, est contente : « Je suis une amie d’enfance de Nathalie Grauwin et j’avais très envie de voir ce spectacle que je n’avais pas encore eu l’occasion de voir. Je l’ai trouvé très riche, comme un condensé. C’est très beau. Et c’est super que ce spectacle ait lieu ici ! »
Après le salut des comédiens et du dessinateur, les spectateurs sont invité·es à prendre un verre et chacun·e donne son avis sur ce qu’il a vu, sur ce qu’il a perçu et ressenti. Jeanne, 20 ans, la sœur d’Adèle, a, elle aussi, passé un bon moment : « J’ai bien aimé la lecture avec les deux comédiens. Ça raccroche à un texte. Ce dialogue entre eux ça dynamise la lecture. » Geneviève, 81 ans, la grand-mère des deux jeunes femmes se joint à la conversation : « C’est original et très frais comme spectacle. Je ne vais pas souvent au spectacle et ça fait du bien. C’est enrichissant, on sort de notre quotidien. Rentrer dans la culture, dans ce monde, je peux avoir une appréhension comme si ce n’était pas pour moi, mais là, tout s’est bien passé. »
Dans l’après spectacle, François Lecauchois donne ses dessins à ceux qui sont restés. Le maire de la petite ville, Matthieu Lestoquoy, est enchanté : « Camphin-en-Carembault a une population où il y a de nombreuses personnes âgées et elles n’ont pas un accès facile au spectacle vivant. Là, le spectacle vient à eux, c’est une valeur ajoutée. C’est bien que ce soit gratuit pour le budget de la commune, grâce à Plaines d’été. En plus, nous aimons travailler avec les artistes de la ville et la metteure en scène est originaire de notre ville. Ça nous fait d’autant plus plaisir de l’accueillir que le nom de sa compagnie est La Camphinoise. Et les Grauwin, c’est une grande famille du village ».
Texte : Olivier Pernot
Photos © Olivier Pernot