Fransu. Village de la Somme de 191 âmes. Dimanche 4 mai 2025, c’est la fête. Nuages, vent mais temps sec. Un manège à l’arrêt diffuse des tubes désuets en attendant que quelques enfants viennent tourner et peut-être attraper la queue d’un Mickey. Les canards en plastique flottent, sourire au bec. Quelques hommes se disputent avec un semblant de désinvolture le meilleur score au coup de poing de l’homme le plus fort.
Petit à petit, les habitant·es rejoignent les attractions. « La musique n’a pas encore commencé ? » demande une dame, inquiète d’avoir manqué la fanfare.
Une étrange petite caravane attire l’attention de quelques curieux·ses. Iels sont accueilli·es par Fanchon Guillevic. La comédienne du Tas de Sable – Ches Panses Vertes, Centre National de la Marionnette, leur explique qu’à l’intérieur, c’est la pièce d’une grande maison. Un endroit que chacun·e a bien connu. Elle invite les spectateur·rices, pas plus de cinq à la fois, à s’imaginer pouvoir revenir dans un endroit qui leur est cher. Iels n’auraient pas demandé la permission. La discrétion est donc de mise.



Fanchon Guillevic fait rentrer un·e à un·e les nostalgiques. À la lampe torche, elle éclaire ici un verre brisé, là une boîte contenant une clé, ou encore les pages d’un livre déchiré. Ce petit cocon est tapissé de voilages et de dentelles. Fanchon Guillevic installe ses convives avec soin tout en chantonnant doucement avant de se placer derrière un écran.







Le petit théâtre d’ombres prend vie avec la voix de Clara Ysé.
« À l’entrée de la maison je suis aux abois
Je vois tous les oliviers, il ne manque que toi
Voilà que je vais quitter l’endroit que j’ai aimé
Que durant des années tu as foulé des pieds
Comment garder la joie de vivre
J’ai oublié rappelle-moi
J’ai quitté la maison ivre
De souvenirs avec toi »
Les petits personnages aux forment simples racontent une histoire universelle que chacun·e s’approprie. Les cœurs sont saisis d’émoi. Quelques yeux s’embrument. Toutes les émotions sont les bienvenues et accueillies avec délicatesse dans ce nid aux allures d’éternité.
« J’ai gardé de la maison quelques photographies
Quelques objets volés et les draps de ton lit
Puis j’ai avalé la clé et couru dans la nuit
Si vous me cherchez ici, sachez que j’ai fui
J’ai perdu la joie de vivre
Je l’ai laissée entre tes bras
Je ne quitterai pas l’île
Des souvenirs avec toi »
La musique se tait. Le silence ne laisse entendre que quelques froissements de tissu. Dans cette bulle, personne n’a entendu les ratatatas de la fanfare à l’extérieur. Le souffle court, les spectateur·rices prennent le temps de redescendre. Fanchon Guillevic prend le temps de leur expliquer les secrets de ce moment suspendu avant d’ouvrir la porte de la caravane.







« C’est original, a confié Hervé, 44 ans. C’est bien qu’il y ait ça dans un petit village. Que les gens de cette commune puissent découvrir ce genre de choses. Avant, j’habitais à Amiens. J’allais souvent voir des spectacles. Mais maintenant, je sors beaucoup moins qu’avant même si je travaille encore à Amiens. Lors des dernières vacances, j’ai emmené mon fils pour la première fois au Ciné St Leu. Il faudrait davantage de propositions culturelles comme celles-ci dans les petits villages. »
Émilie, 39 ans, a notamment apprécié la douceur de la voix de Fanchon Guillevic. « C’était très apaisant. On entre dans un monde particulier. On se déconnecte. J’ai vu une âme qui s’envolait. »


Fanchon Guillevic a eu l’idée de cet impromptu lors d’une semaine de formation au théâtre d’ombres. « La chanson de Clara Ysé me bouleverse, exprime-t-elle. Elle me revenait souvent en tête. » Elle a donc choisi de travailler dessus. Une forme plus simple a également été présentée au chevet de personnes résident dans des lieux de soins.






« Je ne travaille pas dans une recherche de divertissement, poursuit la comédienne. Mon intention est de travailler avec les émotions difficiles et de créer un espace pour qu’elles adviennent. Avec La Maison, j’aborde la séparation, le deuil, des sujets difficiles à appréhender émotionnellement. Avec cette caravane, je voulais que les conditions soient optimales pour ça. Un écrin, un petit cocon. J’ai fait le choix d’une petite jauge, le choix de l’intime. Je garantie un moment privilégié. Je reçois des récits de vie. La caravane est aussi un espace de parole. »




Fanchon Guillevic adore cette petite forme qui offre une plongée dans les souvenirs même si ceux-ci ne sont pas faciles à traverser. « Et puis je pense que Clara Ysé fait du bien avec les chansons qu’elle écrit, poursuit-elle. Dans une étape de séparation, de rupture, malheureusement j’observe que la tendance est de vouloir rassurer l’autre en lui disant « oh, ça va aller ! » sans laisser de place pour la peine. C’est assez systématique. Il y a de l’évitement. C’est important de ne pas annihiler ses émotions pour mieux les apaiser ensuite. Les mots de Clara Ysé sont intenses sur la douleur, le manque de l’autre. Un jour, je lui écrirai. »
Texte et photos © Gaëlle Martin