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Garçon ! De la douceur avec un nuage de poésie, s’il vous plaît

À Bonnay, le 29 juin, la fête du village induit une brocante. Nombreux·ses sont celleux à participer et à offrir à la vue et à la vente des petits riens et de symboliques désuétudes. Point d’arbre pour ombrager les trottoirs. Les gens rougissent, soufflent, rechignent à se mouvoir, comme amalgamés dans le bitume.

Soudain, des notes d’accordéon résonnent du bout de la rue. La première Gnossienne d’Érik Satie s’élance voluptueusement telle une rumeur mélancolique. Lentement, avec une infinie douceur, deux personnages étrangers au village se dirigent vers le cœur du bourg. Habillés comme des garçons de café, l’un joue de l’accordéon, l’autre jongle. Ce dernier tente la rencontre, accroche du regard celui-ci ou celle-là. Il lance ses massues dans le ciel et les fait danser. Certain·es stoppent leur chemin le temps d’un instant, d’autres, plus intimidé·es, n’osent pas ouvrir leur bulle et ignorent l’inconnu.

Les deux acolytes poursuivent leur progression avec la même langueur. On pourrait imaginer des petites fleurs bleues discrètement pousser sous leurs pieds tant leur intervention est poétique et enjôleuse. Une dame les regarde passer avec un sourire contenu, les bras en croix sur le haut du corps. Tout le monde n’est pas prêt à ouvrir son cœur. Mais les garçons de café ont le temps. Ne forcent aucun échange. Les mélodies d’accordéon s’enchaînent sous les doigts d’Élie Delanaud tandis que Yannick Boulanger, alias Flako, le jongleur, scrute les étals et à la recherche d‘un objet intéressant à utiliser. Une scie, un coupe-coupe, un instrument de salle de gym, un cornet de glace, un disque vinyle, tout trouve équilibre sur le menton du circassien.

« Attend, on va voir s’il y arrive avec un œuf ! » s’écrie une dame. Celle-ci, hilare, se précipite vers le jongleur et lui lance le défi de faire tenir une de ses massues sur son menton et de poser un œuf dessus. « Je vais me pousser au cas où il y a de la casse. » Mais, point d’œuf sur le plat (il aurait certainement cuit très vite sur le goudron brulant). Défi relevé avec brio et poursuivi par une manipulation douce et aérienne du précieux ouvrage de la poule.

Au fil de leur pérégrination, les deux garçons de café ont su transformer les regards anxieux et dubitatifs en sourires lumineux et enfantins sur les visages des riverains. « Eh ! Moi aussi je sais le faire ! » a lancé le vendeur de glaces à l’italienne en faisant mine de faire tenir un gros rouleau de scotch sur son nez. Belle aubaine que les serveurs n’ont pas manquée pour jouer avec lui.

Chaque recoin de la brocante fut visité et égayé de jonglerie, de rencontres, d’acrobaties et d’airs d’accordéon. « La base de cette performance existe depuis longtemps, explique Yannick Boulanger. Nous avons adapté pour Plaines Villages (programmation soutenue par la DRAC Hauts-de-France). C’est comme un service du Fouquet’s mais dans les quartiers ou en milieu rural. Ces pingouins font un service de cirque. Les gens connaissent les serveurs. Ce sont des personnages que j’aime bien. Des travailleurs, quoi. Des personnages faciles d’accès. Ils viennent vers vous. »

Avec cette performance intitulée Les Pingouins Anonymes en duo, les artistes du collectif l’Asile Artistik cherchent la rencontre et l’instant. « C’est comme le coup de foudre. Les gens que l’on capte au premier regard et avec qui on sait qu’il va se passer quelque chose. Je cherche surtout ceux avec qui je sens que ça va être compliqué. Qui pensent que le cirque, c’est pour les enfants. Et au final, on se rend compte que ça marche. »

Les deux artistes souhaitent aussi rappeler que les spectacles ne se passent pas que dans les théâtres. « Ce sont des instants comme ça qui nous font vivre, poursuit Élie Delanaud. Prendre un objet sur un stand et créer du lien avec les gens des stands d’à côté alors que les gens ne se parlaient pas avant ça. Prendre un objet, jouer avec. Tout le monde réagit au cirque. Le cirque, c’est partout et pour tout le monde. Pas besoin d’avoir fait des études pour être touché. Et puis les gens qu’on incarnent ne sont pas des ovnis. On est comme les autres. » Pour eux, il est très important de ne pas mettre en difficulté les gens avec lesquels ils interagissent. « La douceur en arrivant, de ne pas faire que du tape à l’œil. La première rue, sans stand, nous permet de rentrer en douceur. »

Élie Delanaud sait à l’avance quels airs il va interpréter mais ne le communique pas à Yannick Boulanger. « Et il ne sait pas quel objet je vais prendre sur un stand. C’est un dialogue interne entre nous. Ce qui permet de changer tout le temps, de ne pas faire le même numéro à chaque stand. »

Texte et photos : Gaëlle Martin

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