La compagnie du Peut-être et le collectif La Cahute ont imaginé un après-midi artistique placé sous le signe de l’échec. Déambulation, spectacle d’improvisation et grand tournoi d’échecs… échouer n’a jamais été aussi cool.
Avec leurs tenues noir et blanc, bariolées de damier, on aurait tôt fait de penser que ces trois membres de la Fédération française d’échecs qui se présentent devant nous sont les reines de l’échiquier, maîtrisant les déplacements des fous et des tours comme personne. Mais non. Elles, leur terrain d’excellence, c’est l’à-côté, le raté, le presque réussi, la médaille en chocolat. Elles ne parviennent à rien et à vrai dire, ça leur va très bien comme ça. « Nous sommes des joueuses d’échecs au sens du raté. L’idée n’est ni de gagner, ni de participer mais… de rater. » Ouch, un petit coup derrière la tête pour Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux Olympiques. Car c’est bien des célèbres JO, de leur devise et de leur popularité, que sont partis les membres de la Compagnie du Peut-être pour imaginer cette performance qui se décline en plusieurs parties.
Dans un premier temps, Lou, Karine et Solène, injouables en tartines renversées face confiture, en rendez-vous manqués et en organisation bancale de concours, proposent au public de Choisy-au-Bac, réunit en cette fin d’après-midi devant l’école communale, de se balader. Une balade dans les rues du village, pour aller à la rencontre des lieux qui ont abrité des gens qui auraient pu être fantastiques ou devenir connus, mais en fait, non. C’était pas loin, il s’en est fallu de peu mais le succès s’est dérobé. Une balade faite en compagnie de Nathan dans le rôle du parfait, l’homme aux mains d’or, dont les victoires ne se comptent plus. Nathan que les trois comparses vont essayer d’initier à l’échec.
Une déambulation qui prend fin dans le parc de la mairie, où sous un barnum est dépliée la Grande muraille du raté. Une large bande de papier blanc sur laquelle chacun est libre de venir écrire un de ses échecs. Lorsqu’on y regarde de plus près, on découvre les timides ou les orgueilleux, qui refusent de raconter les accidents de parcours. On lit alors des crèmes chantilly ratées, des clés de cadenas perdues ou des bouées mal gonflées. Et puis il y a les autres, les téméraires du feutre qui écrivent en couleur les mariages terminés, les permis de conduire ratés plusieurs fois et les diplômes non obtenus. « Il y a une sorte de pudeur a parler de l’échec », confie Lou. « On s’est posé la question de jusqu’où il nous était possible de pousser le curseur. Comment il est possible d’explorer le raté, ce qui ne marche pas, sans générer le malaise. »
« C’est assez marrant ce parcours et puis cette mention aux JO. On sait bien que pour un champion olympique, il y a des milliers et des milliers d’échecs et de déception. », témoigne Jean-Luc. « C’est un sujet intéressant car on parle rarement de l’échec, de ses échecs personnels, alors que c’est un sujet qui parle à tout le monde », complète Agnès. François et Robin ont aussi apprécié cette balade goût échec, « J’ai bien aimé qu’ils utilisent les maisons et les bâtiments du coin pour dérouler leur spectacle. » Eux, côté échec, il y en a un qui a plus joué le jeu que l’autre (mais on ne trahira personne en dévoilant qui est qui): le premier a confessé avoir loupé sa mayonnaise quand le second confie avoir loupé le bac. Jean-Michel est comédien, alors voir des confrères et consoeurs se produire dans sa ville, ça l’intéresse. « J’ai pu voir comment les autres travaillent, ça permet de découvrir d’autres manières de faire, plus improvisées, loin de ce que nous faisons avec notre troupe. », confie-t-il. Monique, comédienne elle aussi reconnaît à la compagnie « beaucoup d’aisance, beaucoup de joie et d’écoute. »
Après cette déambulation, place à Fictions, une scène d’improvisation participative. Le principe est simple : Thomas, du collectif La cahute, pose quatre questions au public assis devant lui. À partir de là, il improvise un spectacle dont les mailles sont tricotées à la fois par lui et par les idées et envies du public. « C’est un numéro d’équilibriste, il faut rester sur le fil », raconte le comédien et musicien, « Ce n’est pas le même stress qu’un spectacle classique. Je ne veux pas trahir ce qu’ils me proposent. » Avec un avertissement tout de même : « Rappelez-vous que le thème de la journée est l’échec. Si c’était génial, c’est moi qui l’ai fait. Si c’était déplaisant, ce sont vos idées ! »
Thomas pose alors ces fameuses quatre questions, ce qui donne côté réponses : un polar, avec une héroïne prénommée Ariane, dont le métier est tricoteuse, et un personnage qui devra avoir fait 11 heures de route pour rejoindre Choisy-au-bac depuis Montpellier. En un clin d’œil, les idées semblent s’imbriquer dans la tête du comédien. Nous voilà partis sur les traces du seul amour d’Ariane, qu’elle raconte à sa télévision et à son appartement. Ça parle d’un amour de vacances, d’un baiser au bal du camping, d’un mort dans une tente, de sirènes de pompiers, de standardistes bavards, de gendarmes, de caméras de surveillance, de Georges, Jérôme et Mathilde et de parents pas si étonnés. Ça s’appelle Le meurtre de Georges, ça a duré une heure et ça a emporté le public, conquis par la prestation de l’artiste.
« L’improvisation mêlée à son jeu d’acteur avec la spontanéité des émotions, ça m’a beaucoup surpris et touché », explique Sylvain, alors que le spectacle vient de se terminer. Même sentiment pour Patrick, qui en plus a son nom au générique puisqu’il est celui qui a proposé le prénom et le métier de l’héroïne. « Je suis assez émotif, donc ce n’est pas facile de trouver les mots. Mais c’était formidable. Ses mouvements, voir comment il arrive à parler différemment en fonction des personnages… » « Il a tenu sur une heure sans jamais s’embrouiller malgré tous les personnages. Il fait tous ses changements de rythme sans que ça n’ait l’air compliqué, je suis allé le féliciter ! », confie Michaël. Rosemarie, elle, « tire son chapeau » et ne tarit pas d’éloges pour Thomas, « il y a une aisance dans le jeu, à camper les personnages, changer sa voix, se souvenir des détails. C’était éclectique, il a de l’imagination, il a tout ! »
L’après-midi se clôt ensuite par un grand tournoi d’échecs avec des jeux aussi variés que la roue de l’infortune ou le chamboule rien. Rater n’a jamais été aussi réjouissant.
Texte et photos : Clémence Leleu