Le noir se fait dans la salle, puis le rideau rouge s’ouvre sur la toute petite scène. Le spectacle Le Montreur de fables va commencer. Les trois interprètes – un comédien, une chanteuse lyrique et un violoniste – rentrent alors dans le bus. Dans cet espace réduit, le comédien Raphaël Robert parle de la tradition des fables, de l’écrivain grec Esope et de Jean de La Fontaine. Puis il revisite avec beaucoup d’extravagance, de gestes et d’expressions du visage, Le Corbeau et le renard. La soprano Stéphanie Révillion donne aussi son interprétation, chantant les vers, accompagné d’un tambourin qu’elle agite et des traits mélodieux du violon baroque joué par Xavier Sichel. Les spectateurs se plongent alors pleinement dans la proposition, oubliant complètement que la salle de spectacle est un bus.
L’Opérabus est un dispositif inhabituel. Imaginé par la compagnie Harmonia Sacra, il s’agit d’un bus transformé en théâtre, avec une scène et des rangées de bancs. Depuis une petite dizaine d’années, la compagnie le balade ainsi sur les routes et se pose dans des villes ou des villages pour donner ses spectacles. « Il existe déjà des bus transformés en mini salles de spectacles mais c’est le premier bus qui propose des œuvres lyriques », précise Stéphanie Révillion. Cette année, l’Opérabus accueille une dizaine de spectacles de la compagnie Harmonia Sacra qui se jouent à tour de rôle, avec plusieurs représentations par jour. Pour cette journée à Lambres-lez-Douai, le mardi 23 août, qui se déroule dans le cadre de Plaines d’été, c’est Le Montreur de fables qui est présenté (le spectacle sera joué treize fois sur le territoire de l’agglomération du Douaisis pendant quatre jours).
La chanteuse lyrique décrit le lieu de spectacle : « La scène est toute petite, seulement 4 m2, avec, en plus, des éléments de décor. Et nous pouvons accueillir 29 spectateurs. Pas un de plus. » Ce matin-là, sur la Place du Général de Gaulle, plusieurs spectatrices viennent de la résidence pour seniors La Fermette aux bleuets, un ancien béguinage. Les autres personnes présentes font partie de la même famille, grands-parents, parents et enfants. Arrivés au dernier moment, une maman et son fils réussissent aussi à monter dans le bus et à partager cette aventure artistique. Deux élues de la ville leur cédant leur place. « C’est important de laisser les habitants profiter d’un moment de culture », se réjouit Peggy Krzykala, l’adjointe à la culture de la ville de Lambres-lez-Douai. Dans ce même esprit, l’après-midi, des bancs vont être enlevés dans le bus pour que plusieurs résidents de l’EPHAD Les Jardins de Théodore puissent s’installer dans le long véhicule avec leurs fauteuils roulants.
Après la première fable, Le Corbeau et le renard, le montreur de fables et la chanteuse se lancent alors dans des duels de récitants. Ils se disputent, s’interrompent, interpellent le public. Dans cette « battle » d’une autre époque, chacun donne son interprétation de plusieurs textes : La Cigale et la fourmi, puis Les Deux chèvres. Le comédien, avec son accent chantant, est très démonstratif dans ces intonations, tandis que la soprano apporte avec sa voix plus de fluidité dans le récit. Après la troisième fable, le rideau rouge se referme. Seul le violon continue de jouer, pendant un long moment. Cet intermède musical permet aux comédiens de se changer et le rideau s’ouvre à nouveau, sur une autre partie du spectacle.
Le comédien interprète maintenant Jean de la Fontaine avec sa grande perruque. Il raconte à la chanteuse transformée en confidente son envie d’écrire des fables autour des animaux, sur le modèle de celles d’Esope. Il voudrait faire parler ces animaux pour dire des vérités importantes sur les humains et que ses fables aient des morales. Puis il prend un papier sur lequel est rédigé Le Loup et l’agneau et commence à le lire. Après une nouvelle fermeture de rideau et un interlude de violon baroque, la scène réapparait avec le décor d’un arbre en plein milieu. Habillés de peaux de bêtes, celle d’un loup pour le comédien, celle d’un agneau pour la chanteuse, chacun interprète sa partition, prenant une voix adaptée : grave et effrayante pour lui, douce et chantante pour elle.
La fable suivante se raconte avec uniquement la voix et les mains. Le comédien se cache derrière l’arbre planté au milieu de la scène et interprète Les Animaux malades de la peste. Avec ses mains et ses doigts, ils miment des tourterelles, la gueule du lion, etc. Dans ces récits, Raphaël Robert prend des voix différentes et des accents. Il s’en expliquera au public après le spectacle : « Nous essayons de nous rapprocher le plus possible des comédiens de l’époque, que ce soit dans les intonations, les gestuelles, les expressions du visage qui sont propres au XVIIe siècle. Pour cela nous avons travaillé avec le Théâtre Molière Sorbonne, c’est une école-atelier de recherche sur l’art du théâtre à l’époque baroque. »
Puis l’impromptu continue encore autour d’autres fables : Le Renard et la cigogne, La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf, Le Chêne et le roseau, etc. Le public de cette représentation matinale est conquis. Edith, 69 ans, est venue de Valenciennes. Elle a réunit sa famille autour de ce spectacle : « C’est extraordinaire de pourvoir poser ce bus n’importe où et de pouvoir faire découvrir le théâtre et l’opéra à tous. Je connaissais déjà l’Opérabus : j’avais vu un spectacle l’année dernière dans le Valenciennois et j’ai voulu faire découvrir ce dispositif à toute la famille. » Bernard, 73 ans, complète : « Nous avons trouvé ça intéressant de se réunir autour de ce spectacle, de faire redécouvrir ces fables à nos petits enfants et de leur faire découvrir l’opéra. J’ai adoré le spectacle et les comédiens, en particulier leurs expressions et leur façon de jouer. C’était superbe. Même s’il fallait s’habituer à leur manière de parler. J’ai beaucoup aimé quand le comédien jouait le personnage de La Fontaine. La façon de présenter les fables m’a beaucoup plu. C’était original. »
Toujours dans cette famille, Bérangère, 45 ans, habitant à Courrières, a également apprécié le moment : « J’ai beaucoup aimé. Cela m’a permis de réécouter Les Fables de La Fontaine. Ma mère m’avait parlé de l’Opérabus et nous sommes venus en famille, mes parents, une tante, ma sœur et nos enfants. En tout, une dizaine de personnes. Après, nous allons déjeuner ensemble au restaurant. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre avec ce spectacle. La décoration du bus est super sympa, avec les petits bancs, le plafond. On rentre vraiment dans un mini-théâtre. Au début j’ai été surprise par l’intonation, l’accent des comédiens. Mais l’humour et le jeu de scène sont remarquables, avec des petits bouts d’opéra dans le spectacle. J’ai trouvé ça très sympa. » Enfin, Arthur, 13 ans, donne son sentiment sur ce qu’il a vu : « J’ai bien aimé le spectacle même si, quand la comédienne chantait, je ne comprenais pas ce qu’elle disait. Le comédien, lui, me faisait rire. C’est un spectacle bien fait. J’ai aimé cette manière de présenter Les Fables de La Fontaine. J’avais participé à l’école primaire à un spectacle de théâtre, mais je n’avais jamais vu de spectacle en vrai. Donc aujourd’hui, c’était mon premier spectacle et c’était bien ! »
Texte : Olivier Pernot