Au camping Le Saint-Hubert de Merlimont, tout est fait pour que les vacanciers se détendent, se rencontrent et fassent des activités sans avoir à sortir du site. Mardi 22 juillet 2025, avant 14 heures, quatre enfants, deux filles et deux garçons, ont pris place sur des chaises en plastique. « On attend une animation, répond Mathilde, 10 ans. On est passé devant ce matin mais il y avait trop de monde alors on n’a pas pu le faire.
– Oui, intervient Victoria, 10 ans, il avait…
– Ah mais chut ! Faut pas le dire ! » coupe Mathilde.
Patience, donc, dans cette salle d’attente improvisée. Le mystère reste entier ou presque. On peut en effet lire sur une pancarte « Cabinet d’ordonnances musicales – Prescription de chansons – consultation gratuite ».


« On voulait être là tôt parce qu’après on s’est inscrites à un concours Top Chef ! » stipule Victoria avec enthousiasme. Les fillettes profitent largement des animations proposées. Comme la piscine avec toboggan. « Enfin, là elle est fermée. Hier, un garçon s’est blessé alors il faut qu’ils la nettoient car il y avait du sang.
– Et vous allez aussi à la plage ?
– Laaa plaaage ? » s’exclament de concert Victoria et Mathilde, comme s’il s’agissait de quelque chose de tout à fait farfelu. La plage. À Merlimont.
« Oh non ! De toute façon, ma mère a peur, explique Mathilde.
– Et puis il y a du sable ! Et des poissons, beurk ! » conclu Victoria d’un air dégouté.
Les échanges et les rires vont bon train lorsque deux dames en blouse blanche font leur apparition. La première consultation peut commencer. Les deux garçonnets s’assoient devant le bureau des doctoresses. Après une courte prise de connaissance et le temps d’évoluer le moral des petits patients, les soignantes cherchent à déterminer quelle musique serait adéquate pour eux.





« Vous connaissez la Maman des poissons ? Non ? Et Céline Dion ? Non plus ? La Reine des Neiges ?
– Ah non ! On aime bien Clic clic pan pan.
– Clic clic pan pan pan ? Ah on ne connait pas. Et Johnny Halliday ?
– Ouiiii ! »
Le temps de s’installer, le soin musical peut commencer. Et le feu, être allumé. Les garçonnets reçoivent cette incantation chantée avec étonnement et ravissement pudique. Puis, les doctoresses atypiques prescrivent un traitement.
« On va vous faire une ordonnance pour écouter de la musique chez vous, pour entretenir la joie. Car c’est important. C’est un traitement pour tout l’été. Un jour sur deux mais pas le dimanche. Une chanson pour le matin, une pour le midi et encore une autre pour le soir. »







C’est désormais au tour de Victoria et Mathilde de consulter. Les deux jeunes filles parlent de leur stress pour la compétition culinaire qui les attend. Après concertation, les dames en blouse blanche optent pour une chanson de gagnantes n’ayant pas peur de viser la lune et proposent aux jeunes patientes de se tenir par le bras pour souder leur union. Car oui, elles ont décidé de ne pas s’affronter l’une l’autre mais d’unir leurs forces. « Ben oui parce que s’il y en a une qui gagne et pas l’autre, on ne sera plus amies alors… »
Je n’ai qu’une philosophie
Être acceptée comme je suis
Malgré tout ce qu’on me dit
Je reste le poing levé
Pour le meilleur comme le pire
Je suis métisse mais pas martyre
J’avance le cœur léger
Mais toujours le poing levé
« J’ai bien aimé, parce que c’est rigolo et mon stress est un peu parti, » confie Victoria. « Ça nous a donné de la force pour Top Chef, enchaîne Mathilde. On va peut-être gagner ! »
Pendant l’interprétation du tube d’Amel Bent, trois jeunes filles intriguées se sont approchées et ont décidé que oui, peut-être, elles participeraient. Mais pas sûr, faut voir. On ne les amadoue pas si facilement, ces fillettes. Finalement, elles s’installent quand-même dans le cabinet. Le musicament choisi pour elles est une chanson de délivrance et de libération.








« C’est pas ça la chanson ! » a lancé Cassie, 8 ans, les bras croisés, assise volontairement pas trop près des autres.
– C’est pas ça ? a interrogé la Reine des neiges.
– Tout est faux !
– Tout est faux ?
– Enfin, nan mais t’as changé des choses.
– Oh mais les chansons, on les change comme on veut. On chante ce qu’on a envie d’exprimer. »
Les enfants n’ont pas été les seuls à venir consulter ce jour-là. Les adultes ont également apprécié les soins prodigués. Fermer les yeux, sentir la belle énergie des soignantes, leur souffle, la vibration de leur voix, les entendre tourner tout autour et aussi, recevoir avec émotion et pudeur toute cette belle attention rien que pour soi. Un présent inestimable d’âme à âme. Puis ouvrir les yeux et apprécier leurs mimiques. Échanger des sourires complices. Un délicat moment de communion, un lien d’intimité tissé entre inconnu·es. « Le but était que les personnes puissent prendre du temps pour eux, a expliqué Nancy Trémiseaux, directrice du camping. Quand ils arrivent au camping, en général, ils sont encore dans le stress de leur quotidien. Nous voulions qu’elles se détendent, que la musique allège leur esprit. »






Nancy Trémiseaux s’est également faite examiner. Elle a avalé une dose de Petite Marie de Francis Cabrel. « Pendant ces trois minutes, j’ai pu me recentrer sur moi. C’était un moment simple, hors du temps, rien que pour moi. C’est très appréciable l’énergie que l’on ressent pendant qu’elles chantent. Tout est fait avec légèreté. Elles nous transportent avec leur voix. »
Cécile Thircuir et Stéphanie Petit, les consultantes de la Cie On Off, ont mûrit cette performance – soutenue par la DRAC Hauts-de-France avec son programme Plaines détente – à l’hôpital maritime de Berk. « Nous étions lauréate pour Plaine Santé l’année dernière, explique Cécile Thircuir. Ils ont un service animation exceptionnel. Avec Anthony Rifflart, un des animateurs, on a travaillé en dialogue avec son savoir-faire et ses connaissances. Ça nous a tellement plu qu’on lui a demandé si on pouvait développer ce projet. On a réfléchi à comment aborder le public et au choix des chansons. C’est chanter de cœur à cœur. Créer quelque chose de très intime mais aussi une animation liant profondeur et légèreté. On aime travailler sur ce fil-là. La dérision et la sensibilité. »






Stéphanie Petit ajoute que prendre soin est un axe essentiel de leur compagnie. « C’est ce qui fait sens dans nos métiers. Quelque chose va toucher les gens, comme une voix réconfortante, dont la vibration produit des sécrétions d’hormones. Et on mélange avec de la blague et une envie de faire du bien. »
Cécile Thircuir évoque la souffrance infinie que provoque ce qu’il se passe dans le monde et les choix politiques catastrophiques. « On peut faire les choses autrement. On ne fait pas du quantitatif. Pour nous, le contact humain est primordial. »
Les dames en blouse blanche ont soldé leur journée de consultations par une visite aux boulistes. Cette fois-ci le frisson de l’intime a laissé place à la vibrance d’une liesse collective.
Texte et photos : Gaëlle Martin