Candide, de Voltaire, résonne souvent comme ennui, poussière et obligation scolaire dans les esprits. Pourtant son histoire, racontée par Marc Fiévet, en ce jeudi 22 août 2024 à Beauchamps, est loin d’être soporifique. En effet, le conteur du Théâtre dans les nuages sait transmettre de manière palpitante les aventures inouïes du jeune héros. Pour être certain de ne pas s’attarder sur un passage, Marc Fiévet a chargé un des spectateurs de le chronométrer et de lever la main pour indiquer la fin de la narration.
« Vous connaissez Candide ? a demandé Marc Fiévet
– Oh moi, j’ai jamais aimé ces trucs-là ! Moi, à l’école, j’aimais les chiffres, » s’exclame une dame venue, bien malgré elle, accompagner une amie à la mobilité réduite.
Pour rendre son récit encore plus ludique et la restituer en interaction avec le public, Marc Fiévet a découpé l’histoire en sept chapitres. Ces derniers sont représentés sur un jeu de cartes. Les chapitres sont tirés au hasard par le public et les chapitres narrés, donc, de façon aléatoire.
« Madame, voulez-vous choisir une carte ?
– Oh moi, j’aime pas les cartes ! »
Loin de se laisser décontenancer, le conteur poursuit son récit. Les autres spectateurs, quant à eux, sont happés par le flux tumultueux des paroles de Marc Fiévet. Ça va à toute vitesse. Marc Fiévet gesticule, grimace, mimique, incarne l’histoire avec passion et cette dernière est contagieuse.
Une fois, le temps écoulé, le comédien demande aux spectateurs ce que serait, pour eux, le meilleur des mondes.
« Ce serait gagner un tiercé ! Mais un bon. Pas un à 1,50 euros, » a répondu la dame du tac au tac. Visiblement, elle suivait quand même et semble aimer les courses hippiques.
« Ce serait tout le monde en bonne santé !
– Pas de violence. » ont émis les autres spectateurs. À quoi la dame a ajouté :
« Bien s’entendre. Parce que parfois, même entre voisins, c’est pas triste !
– Plus de monde dans les bibliothèques ! » a lancé la bibliothécaire très investie.
« Ça donne envie de relire Candide, » a soufflé Emmanuelle, 57 ans. « Manue, avec un « e », bien sûr ! Manue de Gamaches. Je vais raconter le spectacle de ce matin à mon fils. Il fait du théâtre au lycée. C’est déroutant de le voir jouer. C’est vraiment son truc. Et il est aussi musicien. Ah et j’adore ce cadre magnifique ! » en montrant d’un geste la belle Bresle le long de laquelle Candide a repris corps, ce matin-là, le temps d’un court instant. Un instant bien assez long pour une personne.
« Bon, on y va ?! » tempête la dame. Mais Manue de Gamaches fait mine de ne pas l’avoir entendue. Elle est bien. Elle savoure. Les minutes après Candide, c’est encore Candide. « Le comédien a replacé cette lecture classique dans le monde moderne, poursuit-elle. Et faire ça à la campagne, c’est génial ! »
Au loin, la dame regarde avec une extrême lassitude frisant le désespoir le siège pliant qu’elle a porté pour son amie.
« On ne savait pas qu’il y avait un spectacle, » a enchaîné Éric, 66 ans. La bibliothécaire les avait en effet cueillis au passage. « J’habite Beauchamps depuis quelques années et c’est assez vivant. Il y a pas mal de spectacles. Ce serait bien que le spectacle de ce matin se passe aussi dans d’autres endroits. Et qu’il y en ait encore plus car c’est inspirant. »
Annie, 64 ans, sa compagne était ravie qu’on lui fasse considérer Candide autrement. « Ce bouquin est très barbant ! À l’école, j’aimais pas du tout la littérature. Je n’en avais que pour les maths. Puis, plus tard, avec mes enfants, pour les aider dans leurs devoirs, j’ai redécouvert la littérature, cette fois avec les bouquins des professeurs. Et j’ai trouvé ça passionnant ! Je me dis qu’on nous a fait lire des textes bien trop jeunes pour pouvoir les aimer. »
« Je voulais faire un truc sur Candide, » a confié Marc Fiévet. « Je suis plus conteur que comédien. Enfin, quand je suis sur scène au sein d’une troupe, j’aime jouer mais quand je fais mes projets à moi, je préfère conter. Je m’intéresse aux histoires et à comment les raconter. Candide est plein de combats d’épée, de chevauchées, il y a la traversée de l’Atlantique. Voltaire s’inspirait beaucoup de l’actualité de son époque quand il écrivait. Il s’attaquait aussi à des critiques littéraires qui n’avaient pas été tendres avec lui. Il parle du tremblement de terre de Lisbonne, de l’esclavage, etc. »
Pour Marc Fiévet, ce que Voltaire a écrit il y a plus de 260 ans peut être encore d’actualité. « Et j’adore le côté truculent des aventures ! poursuit Marc Fiévet. La vieille qui perd une fesse. C’est invraisemblable. Et toujours elle se relève. Encore et encore. »
Pour cette série de dates pour Plaines d’été – dispositif de la DRAC Hauts-de-France – Marc Fiévet a opté pour une itinérance douce. « Je voulais apporter une dimension écologique au projet. » Ce dernier a donc sillonné de date en date en vélo. Pour alléger son paquetage, il a choisi un décor modulable en matière très légère. Une partie s’est d’ailleurs envolée pour un petit plongeon dans la Bresles. « Après Plaines d’été, j’aimerais amener Candide dans les lycées. »
Texte et photos : © Gaëlle Martin