21 juillet 2024. C’est dimanche. Au Petit-Fort-Philippe, station balnéaire de Gravelines (59), la braderie s’est installée tout le long du sillon.
Le soleil peine à se frayer une percée à travers l’épaisse masse nuageuse. Mais le climat est doux et le programme festif se déroule comme prévu. Scène musicale en bordure de troquet et performance de breakdance près de la bibliothèque de la plage. En effet, la compagnie MI’VYBZ – se prononce Mi’vailleb’z – a choisi cet endroit pour livrer sa performance intitulée « Vivez l’art, là où vous êtes ! ». Un extrait, spécialement adapté pour Plaines d’été – dispositif de la DRAC Hauts-de-France, du spectacle « Vyznam ». Ce dernier explore la question de la pluralité des langues et la danse comme outil de traduction. Un voyage à travers les cultures, mettant en lumière la richesse et la diversité linguistique grâce à des mouvements de danse urbaine et afro-urbaine. Une expérience menée tambour battant par Michaela Piklová.
Installation de deux enceintes et c’est parti pour un échauffement in situ. « Approchez-approchez ! » lance Mousstik, l’acolyte de Michaela Piklová pour cette aventure. Le duo interpelle, alpague, tente de chambouler un instant la déambulation monotone des âmes abimées. Des fleurs éclatantes, Michaela et Mousstik semblent en avoir plein de cœur et être désireux d’en faire profiter tout un chacun.
Quelques graines semées, ça finit toujours par faire germer quelque chose.
Étirements, figures breakdance trop balaises, déploiement d’énergie pour que le désormais public s’approche. « Pour réchauffer les gens à Gravelines, c’est pas facile ! chuchote Danièle, une habitante de 78 ans. C’est froid, c’est froid ! »
Mais la sauce tartare semble commencer à prendre. Les danseurs lancent alors le coup d’envoi sans jamais cesser d’interagir avec les gens, tenter de les faire participer d’une manière ou d’une autre. C’est comme un fluide d’énergie qu’il ne faut pas lâcher, qui ne peut être laissé en autonomie sans risque de retombée de soufflé.
Les musiques et les danses de diverses horizons et influences s’enchaînent sur la zone goudronnée du sillon. Certains, étendus sur la plage, n’ont qu’à lever le nez de leur drap de bain pour assister au spectacle. Tout autour de cette scène improvisée, les regards inquiets laissent petit à petit place à des sourires.
« J’ai bien aimé, confie timidement Charlotte, 22 ans. C’est intéressant de découvrir d’autres danses. Et leur façon de parler, de penser, c’est comme un autre langage. Je suis étudiante en sport. L’art, c’est pas du tout mon domaine. Quand il y a un concert gratuit organisé sur la plage, comme Keen’V il n’y a pas longtemps, je vais voir mais sinon, non. Je ne savais pas qu’il y avait une animation aujourd’hui. Je suis tombée là par hasard. J’ai trouvé ça étonnant alors je suis restée pour regarder. »
« C’était très sympathique, a poursuivi Danièle. On voit qu’ils y mettent du cœur ! Ils avaient du punch. Mais ça aurait dû durer plus longtemps. Ici, pour décongeler l’ambiance, il faut plus de temps. À Gravelines, c’est comme ça. Ça met plus de temps à décoller. Mais il en faudrait beaucoup plus tout au long de l’année, des temps comme celui-ci. C’est toujours intéressant et ça met les gens en contact. »
Michaela Piklová a quitté la Slovaquie en 2016 pour venir étudier en France. Elle était déjà danseuse professionnelle dans son pays d’origine mais elle souhaitait poursuivre ses études de langues. Pour gagner le gite et le couvert, elle s’est faite fille au pair. Ce qui lui a permis d’apprendre la langue, tout en gardant son délicieux accent, et de continuer à breakdancer. « Aujourd’hui, je peux dire que j’ai deux maisons. En Slovaquie et ici, même si c’est parfois compliqué. » À l’université de Lille, elle apprend également l’anglais et le russe.
« J’ai développé ma compagnie. Mi’VYBZ. Mi, c’est pour Michaela et vibes comme les énergies. Avec Michaela, vous ne passez jamais les mêmes vibes qu’avec les autres, » s’amuse-t-elle. Pour cette série de spectacles inscrits au programme Plaines d’été, Michaela Piklová a invité Mousstik à la rejoindre et lui a donné carte blanche. « Il a une approche avec les objets et moi avec la langue et les différents styles de danse. J’explique en même temps aux gens pour que ce soit compréhensible. À la fin, ce que nous appelons le « Grand Final », nous invitons les gens à venir danser avec nous. Il est même arrivé que ça évolue en battle. »
Puis les Gravelinois ont repris leur pérégrination le long du sillon. Le vent iodé a emporté avec lui le secret de ces sourires fugaces. Un jour, peut-être, une mouette breakdancera sous le regard ébahi de quelques bulots badauds.
Texte et photos © Gaëlle Martin