Paquita Milville et Cédric Pierre étaient lundi 5 octobre à l’École supérieure d’art et de design d’Amiens (ESAD). Une étape de recueils de contributions dessinées et écrites dans leur quête de la définition de la beauté par les citoyens des Hauts-de-France.
Le ciel amiénois, en ce lundi d’automne, s’est étrangement paré de son plus beau bleu et de ces nuages bas et charnus qui font le secret des paysages du nord. On se demande s’il n’est pas une introduction heureuse à l’atelier « Beauté d’min coin » en cours à l’École supérieure d’art et de design d’Amiens (ESAD). Paquita Milville et Cédric Pierre, initiateurs du projet, se sont installés sur une simple table, stratégiquement placée dans un espace commun entre les ateliers et les salles de cours. C’est ainsi qu’ils interrogent la beauté.
Dans ce lieu d’études voué à la création, on s’affaire dans tous les sens. Ici, dans les ateliers, on cloue, on visse, on installe les œuvres d’une exposition à venir. Là, on déambule avec du matériel d’enregistrement vidéo pour capturer des instants de la vie estudiantine. Au milieu de ce joyeux ballet, Cédric se décide à aller à la rencontre de quelques étudiants, pour leur tendre… une simple feuille A4 blanche et un marqueur noir. La mission : dessiner ou écrire le « beau ». Si la consigne semble simple, les façons de l’aborder des jeunes montrent l’incroyable entreprise des artistes. Où se trouve la beauté ? Comment la décrire ? Réside-t-elle dans la dextérité et la précision de la reproduction d’un paysage ou dans la justesse d’un rond ? « J’ai redessiné un dessin que j’avais déjà fait. Il me rappelait un moment très heureux et une grande satisfaction de ce que j’avais fait », explique Adèle 21 ans, étudiante en deuxième année à l’ESAD. A côté de son dessin minutieux, un camarade de promo a dessiné la lettre « a », trouvant dans cette expression typographique sa définition de la simplicité du beau. « Il y a plein de choses différentes. Si je devais expliquer le mien, je dirais que la beauté est pour moi fortement liée à une sorte de bien-être. Un sentiment plutôt qu’un sujet ».
« Notre travail s’apparente un peu à une étude sociologique, sauf qu’au lieu d’en sortir des statistiques, nous produisons un livre d’art », sourit Paquita Milville. Le projet est étroitement lié avec l’ambition intime de la scénographe et créatrice de mobilier. Elle est en train de monter un lieu de résidence artistique en milieu rural à Berny-Rivière, un village de 600 âmes dans l’Aisne. L’idée est de concevoir des projets pour faire rayonner cet espace au sein du village et rappeler à tous que l’art n’est pas réservé qu’aux artistes. L’ESAD d’Amiens n’est qu’une étape de ce recueil d’expressions artistiques. Les deux acolytes parcourent l’Aisne et les Hauts-de-France à la recherche de la Beauté, essentiellement à travers la rencontre. De ces ateliers, naîtra un recueil de textes et de dessins, ainsi que des portraits sonores des personnes croisées. « Nous sommes des anciens élèves de l’ESAD, on trouvait ça intéressant de revenir sur nos traces et de confronter ces regards », rappelle Cédric, graphiste originaire de Saint-Gobain dans l’Aisne, animé par les projets d’édition et le travail collaboratif.
« L’intérêt, c’était avant tout d’aller voir les gens et de les écouter parler, plutôt que de plaquer une proposition artistique figée et définie », poursuit-il. Pour les deux artistes, l’ambition est de faire tomber les barrières du milieu culturel et d’aller s’intéresser à ce que des gens qui vivent dans un territoire plutôt sinistré vis-à-vis de la culture et de la création. Voir ce qu’ils pourraient avoir à dire. « Poser cette question aux artistes et à ceux qui déterminent déjà les goûts de demain aurait été ennuyeux”, s’amuse Cédric. L’art et la beauté sont à la portée de tous et de tous les territoires, et ils sont là pour le rappeler.
Le choix d’une édition regroupant et faisant se répondre les contributions des uns et des autres n’est, en ce sens, pas anodine. « Ce format reste évasif et évocateur, sans la grandiloquence d’une énorme sculpture d’artiste, mais il reste un objet d’art dans lequel chacun aura sa place ». Toutes les personnes qui participent au projet recevront un exemplaire de ce livre. Une inclusion importante pour Paquita. Car le duo a parfois dû se confronter à une forme de rejet. Des habitants qui ne se sentent pas concernés et surtout pas légitimes. « Mais par la rencontre et le petit protocole que nous avons mis en place, les gens se sont prêtés au jeu », rassure Paquita.
Alors qu’elle a fini son dessin, Adèle, la jeune étudiante s’amuse de cette expérience à laquelle elle a modestement pris part. « Qu’on soit étudiant en arts ou agriculteur dans l’Aisne, on a tous des définitions différentes de ce qui est beau, influencées par nos parcours et nos milieux de vie. Mais au final, personne n’a une meilleure définition qu’un autre. C’est la beauté de ce sujet d’étude. »
Textes et photos : Timothée Vinchon