Lorsque l’on s’approche de l’entrée de la Cité des bateliers de Longueil-Annel, de drôles de bruits s’échappent du jardin : meuglements, clacs métalliques de stabulation, pas dans la paille… Pourtant, aucune ferme ni vaches à l’horizon. À quelques dizaines de mètres de là, un bateau en provenance de Compiègne viendra bientôt déposer sur les berges de l’Oise une trentaine de personnes. Toutes ont fait le déplacement pour assister à la première de La trouée, un seule en scène, joué par Cécile Morelle de la compagnie Le compost.
Cécile Morelle est une comédienne, metteuse en scène, auteure et directrice artistique. Elle est passée par l’École supérieure d’art dramatique de Paris, elle a intégré la Comédie-Française en tant qu’élève comédienne, a joué dans Morbid de Paravidino, Les piliers de la société d’Ibsen. A suivi une formation de couturière, de masque en bois. A obtenu le diplôme d’État de professeure de théâtre et est diplômée de l’école de clown de Bagnolet. Voilà, ça c’est pour la face A. Côté face B, Cécile Morelle est originaire de Picardie, d’un petit coin de l’Aisne, auquel on accole un peu trop rapidement les qualificatifs de « trou » ou de « désert culturel ». Ses grands-parents sont paysans, ils vivent à la ferme.
Une ferme, un monde paysan qui irrigue son enfance et son adolescence jusqu’au départ dans « une grande ville ». Pourtant, les corps, les mots, les odeurs, les histoires, elle les emporte avec elle, en elle. Avec une peur, qui pulse : celle que la face B ne finisse par s’effacer, à force de distance. Bien sûr, quand on s’éloigne on prend le risque d’oublier, de perdre ses repères. Mais parfois, s’éloigner permet de redécouvrir les perspectives, s’interroger sur son milieu, sur soi-même et sur les liens qui nous y lient. La trouée c’est ça. C’est l’histoire d’une femme, petite-fille de paysan, qui se demande à quel territoire elle appartient. Où c’est chez elle, précisément ? Et puis aussi, c’est quoi être une femme en milieu rural ? Alors pour tenter de répondre à ses interrogations, Cécile Morelle convoque ses souvenirs avec sa grand-mère et sillonne les routes de Picardie mais aussi d’autres coins ruraux de l’Hexagone pour aller à la rencontre de celles qui font les campagnes. Elles sont compagnes, épouses, mères, pièces rapportées, étrangères parfois. Paysannes, agricultrices, travailleuses ? Jamais, même pas vraiment pour l’administration française.
Dans ce spectacle d’une heure et demie, on croise Anaelle, sa langue qui se délie une fois que son mari n’est plus dans les parages, sa cuisine et son ruban à mouches. Chiara, paysanne boulangère en devenir à l’accent italien qui dénote au milieu des champs, Émilie, maraîchère bio revenue sur les terres de son enfance. Et puis Madeleine, la grand-mère de Cécile. Ce spectacle ça parle de souvenirs d’enfance, de camion boulanger, de crépinettes, de Plus belle la vie, de vaches, de traite, de danse, de corps abîmés, de pépé, de Picardie, de plaines, de champs, de phrases assassines lancées par la fille populaire de bahut ou par le Parisien sûr de lui. On est à deux doigts de sentir pour de vrai l’odeur de café, de la paille, de la nappe en toile cirée et des bottes en caoutchouc.
« C’est une sacrée performance, c’est très physique », raconte Patricia, « on sent les choses, on entend les bruits, on a l’impression que l’on parle de nos grands-mères. » L’histoire de Cécile, très personnelle, semble toucher à l’universel : pas mal de personnes du public ont grandi dans ces territoires ruraux picards, où ont passé les vacances d’été dans les fermes des grands-parents. « C’est assez impressionnant pour une première. Il n’y a pas de temps morts, aucun bafouillage. Je me suis projeté dans mes souvenirs à moi », confie Jérémie. Même sentiment pour Solal « J’ai adoré que l’on me parle de Picardie. Et sa tirade sur le mode de vie paysan, l’émotion monte intensément jusqu’à la fin du monologue, c’était poignant. » « Toutes ces rencontres que l’on fait à travers Cécile, c’est assez fou », complète Solène. « C’était comme si la ferme arrivait au milieu de nous ! » Une représentation qui a donné à plus d’un spectateur l’envie de revoir le spectacle, à l’instar de Dominique « L’installation donne un côté très vivant, ce n’est pas statique. On sent le lien avec la terre. La recherche des racines. Et puis ça nous amène à nous interroger nous aussi sur qui on est, d’où l’on vient. En fait, j’ai envie de le revoir une deuxième fois, pour continuer ma réflexion. »
« Ici, il y a la Picardie. Et il y a ici plutôt qu’ailleurs », prononce la comédienne dans les derniers instants de sa représentation. Ici, il y a aussi un spectacle qui va tourner dans les mois à venir en France, et qu’il ne faut pas louper.
Texte et photos : Clémence Leleu
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